Décoloniser l’écologie du numérique

En mettant en évidence les infrastructures matérielles du numérique, on en expose aussi l’héritage colonial. Car l’activité minière sur laquelle repose la numérisation du monde s’inscrit dans les relations asymétriques entre le Nord et le Sud qui font la “colonialité” de ce monde. On ne peut se contenter de calculer les émissions carbone du numérique, sans parler des corps empoisonnés par l’extraction des métaux au Congo et ailleurs. Mais la colonisation est aussi celle des esprits, partagés entre fatigue de la connexion et impératif à la déconnexion. Dans ce texte, Laurence Allard met le projecteur sur plusieurs initiatives qui articulent de fait une perspective écologique et une perspective décoloniale, qu’il s’agisse d’une association lyonnaise qui fait connaître les conditions d’extraction au Congo ou d’un “repair café” parisien qui apprend à puiser dans ces “mines urbaines” que nos villes sont devenues. Loin des injonctions, une description des initiatives qui sont déjà en train d’inventer des manières d’être dans les temps qui restent.

            

« Ce sont ceux qui sont ivres qui doivent réfléchir en priorité à la sobriété. »
David Maenda KithokoDavid Maenda Kithoko est le président co-fondateur de l’association écologiste décoloniale Génération Lumière..

La numérisation généralisée des sociétés, loin de dématérialiser biens, services, usages et relations, en accroît l’empreinte matérielle au long cours, notamment par son recours à l’extractivisme minier qui lui-même reconduit des rapports sociaux de colonialité. Entre chiffres et témoignages, entre enquêtes et expérimentations, des acteurs pluriels œuvrent à mobiliser en faveur d’une écologie décoloniale du numérique. Ce sont ces voix/voies critiques d’un numérique « zombie » – comme le désigne le physicien José Halloy (2020) –, c’est-à-dire un système socio-technique proliférant mais mortifère, qui peupleront cet article.

Après une entrée en matière autour de l’empreinte environnementale du secteur digital, trois perspectives seront dépliées, qui constituent autant de séquences de concernement écologique du numérique, appréhendant tout autant les milieux que les matérialités, les rapports sociaux que les extractions de ressources. Il s’agit tout d’abord de prendre  en considération la réflexivité des pratiques ordinaires de connexion comme modalités opératoires de déconnexions non exclusivement techno-critiques ou renonçantes. Il s’agit ensuite de visibiliser les potentialités d’ensobrement (au sens de la mise en place d’une démarche de sobriété) qu’ouvrent les mouvements de réparation et de surcyclageLe surcyclage (en anglais upcycling) consiste à récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d’utilité supérieure. Il peut par exemple s’agir de transformer de vieux vêtements en pièces de mode, transformer des bouteilles en plastique en mobilier, ou transformer des déchets alimentaires en biocarburants. Pour plus de précisions, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Surcyclage. NDLR. portés par des collectifs pluriels que l’on peut désigner comme les nouveaux « diggers de l’anthropocène »Les diggers étaient une faction protestante qui, dans l’Angleterre des années 1650, s’opposèrent aux « enclosures », autrement dit à la destruction des communs agricoles, mouvement auquel Marx accorde une importance particulière dans l’histoire du capitalisme. NDLR.. Ce sont ainsi des jeux d’acteurs pluriels et des instances différenciées que documente cet article, afin de questionner la gouvernance d’une écologisation du numérique qui couvre un spectre allant des micro-déconnexions ordinaires aux renoncements programmés et qui ouvre à autant de « contre-anthropocènes » (Chateauraynaud et Debaz, 2017).

Vous avez dit « dématérialisation »?

Les données et prospectives issues des enquêtes des autorités de régulation, l’Ademe et l’Arcep (2024), indiquent combien l’impact environnemental du numérique comporte une empreinte matérielle, du fait de l’extraction de ressources minérales, métalliques et hydriques, ainsi que de la prolifération de déchets électriques et électroniques. Cette empreinte environnementale concerne d’abord et en priorité la fabrication des terminaux, puis les services numériques avec les centres de données, et ensuite les réseaux de télécommunications. Les déchets électriques et électroniques constituent de véritables mines urbaines avec 20 millions de tonnes par an et en moyenne, par Français, 30 kg par an. En 2020, ce sont ainsi des tonnes de matières premières et ressources (eau, énergie) qui sont nécessaires au fonctionnement d’une société numérisée avec 949 kg de ces matières utilisées par les Français en moyenne, soit 62,5 millions de tonnes de ressources. D’autres indicateurs achèvent la description des ordres de grandeur de l’impact de la plateformisation généralisée des sociétés avec 10% de la consommation électrique et 2,5% de l’empreinte carbone du pays (Ademe, Arcep, 2024). La dernière vague de l’IA et ses modèles d’entraînement algorithmique par la foule, avec des produits tels que ChatGPT et autres générateurs de textes et d’images crowdsourcés, amplifie les tendances écologiquement délétères du numérique. Le travail mené par Anne-Laure Ligozat et ses collègues (2023) autour de l’impact de l’IA apporte d’impressionnants ordres de grandeur concernant certaines séquences telle la phase d’entraînement de certains modèles pouvant équivaloir en émissions de CO2 à 300 allers San Francisco-New York. D’autres études menées à l’université Carnegie Mellon (Luccioni et alii, 2023) indiquent que la génération d’une image nécessite en termes énergétiques une charge entière de smartphone.

La troisième édition de l’étude « Pour un numérique soutenable » démontre une augmentation pour le segment des data centers de 15% pour la consommation électrique ainsi qu’une augmentation de 14% des émissions de gaz à effet de serre et de 20 % de la consommation d’eau liée à l’accroissement du trafic, mais également à la montée des températures (Arcep, 2024).

D’autre part, dans l’analyse prospective menée conjointement par l’Ademe et l’Arcep (2024) sur l’empreinte environnementale du numérique en 2020, 2030 et 2050, il apparaît, dans le cadre du scénario business as usual qu’en raison de l’augmentation du nombre de terminaux de type objets connectés mais également du développement d’usages impactants comme l’IA, les blockchains et le web 3, l’empreinte carbone du segment « données » va connaître une hausse de +45% de 2020-2030  et  de + 135 % de 2030 à 2050, tandis que les besoins en matières premières du secteur numérique passent de 88 millions de tonnes en 2030 à 178 millions en 2050.

Enfin, l’Ademe (2024) a consacré une étude intitulée « Besoins en métaux dans le secteur numérique » qui a permis « d’établir la composition matière de ces équipements pour une sélection de 25 métaux », qui a fourni une « cartographie des chaînes de valeur amont de ces métaux utilisés dans les équipements du secteur numérique, ainsi que du devenir en fin de vie des équipement (collecte, tri, recyclage) en aval des chaînes de valeur », et enfin qui a avancé une « analyse prospective évaluant la quantité de métaux utilisées dans le secteur numérique en France aux horizons 2030 et 2050. » La synthèse de l’étude montre ainsi qu’il existe « une forte dépendance de la consommation de métaux dans les équipements numériques au volume anticipé de ces équipements, et donc des choix technologiques et sociétaux d’aujourd’hui pour notre environnement numérique de demain […]. L’étude met en avant la dramatique problématique minière associée à des violations des droits humains à l’œuvre dans certains pays producteurs de métaux cruciaux pour l’économie du numérique, tels le Congo RDC pour le cobalt et le coltan utilisés dans les batteries ou les composants électroniques. En raison de la difficulté matérielle et industrielle à recycler les ressources métalliques et minérales des terminaux numériques – divers facteurs sont mentionnés par le rapport de 2024 de l’Ademe, notamment l’opacité même de la composition des composants qui rend difficile aboutir à une relative pureté chimique à recycler –, un grand nombre de déchets électroniques et électriques viennent encombrer d’autres mines, les mines urbaines  à hauteur de 53,6 millions de tonnes en 2019, dont seulement 17,4% sont « recyclés » (OMS, 2021).

La matérialité du secteur du numérique renvoie également à la spatialité, qu’il s’agit de penser au plan des infrastructures, comme le font Cécile Diguet et Fanny Lopez dans leur ouvrage Sous le feu numérique (2023). Les deux chercheuses démontrent que « portées par la numérisation de l’économie, par l’explosion des échanges de données, du cloud et des objets connectés, les infrastructures numériques sont en passe de devenir l’un des plus importants postes de consommation électrique du XXIe siècle ».

Le continuum colonial du capitalisme numérique : du minerai aux données, entre extraction et accaparement 

Ces empreintes environnementales ne constituent cependant qu’un aspect des problématiques écologiques du numérique. Ce sont autant d’impacts humains et d’empreintes sur les milieux de vie qui sont à visibiliser - et c’est pourquoi on a besoin d’une perspective décoloniale sur l’écologie du numérique. En effet, la géographie du numérique et ses flux extractivistes, du minerai aux déchets, s’avèrent clairement post-coloniales. Les ressources, notamment minières, sont extraites dans le Sud Global. Cette extraction alimente actuellement au Congo RDC un régime de violences extrêmes dans les régions du Sud Kivu riches en cobalt (utilisé pour les batteries ion lithium) et en coltan (colombite tantalite) que l’on raffine en tantale nécessaire pour les composants électroniques.

En 2015, un rapport d’Amnesty International alertait sur le travail des enfants dans les zones du sud de la RDC et avait enquêté au sein de cinq sites miniers auprès de 87 travailleurs dont 16 enfants âgés de 9 à 17 ans. Ces derniers récupèrent des roches contenant du cobalt parmi les résidus des mines industrielles qu’ils lavent et trient pour vendre le minerai. Les mineurs artisanaux sont appelés « creuseurs » car ils utilisent les outils les plus rudimentaires pour déterrer des pierres à partir de tunnels souterrains. Les impacts sur la santé des enfants sont alarmants:

« L’exposition chronique à la poussière contenant du cobalt peut éventuellement résulter en une maladie pulmonaire mortelle connue sous le nom de fibrose pulmonaire aux métaux durs. L’inhalation de particules de cobalt peut également causer une sensibilisation des voies respiratoires, des crises d’asthme, un essoufflement et un affaiblissement des fonctions pulmonaires. En outre, un contact cutané prolongé avec ce minerai peut aboutir à des cas de dermatite. » (Amnesty, 2015)

Selon David Maenda Kithoko, co-fondateur de l’association écologiste décoloniale « Génération Lumière », chaque jour, des enfants sont exploités, des milliers de femmes violées – simplement pour que soient produites plus de voitures électriques ou de smartphones… Suivant les derniers chiffres communiqués par l’association Génération Lumière, plus de 40 000 enfants travailleraient dans les mines du sud de la République Démocratique du CongoVoir le site de l’association Génération Lumière : https://generationlumiere.fr/. Cette voie militante écologiste décoloniale dans le domaine du numérique fait référence aux travaux de Malcom Ferdinand (2019) qui, en reliant écologie et esclavage, a comblé la double fracture de la modernité désarticulant le fait colonial des écocides. Cette réarticulation de la colonialité et de l’écologie rend possible de repenser l’interdépendance entre l’extractivisme monopolisant les ressources et le colonialisme violentant les êtres humains. Cette écologie décoloniale se situe dans le sillage également des thèses de l’historien, co-initiateur des postcolonial studies, Dipesh Chakrabarty (2021), dont l’espace de pensée s’inscrit dans une perspective anti-impérialiste et dans un cadre géo-historique qu’il désigne comme planétaire. Dans un entretien réalisé dans le cadre de l’ouvrage collectif Écologies du smartphone (Allard et alii, 2022), le fondateur de l’association, David Maenda Kithoko, raconte son histoire de vie, la fondation de l’association et son engagement pour une écologie décoloniale du numérique :

« Pour ce qui concerne mon parcours, j’ai 25 ans et je suis né à la frontière entre le Burundi et le Congo. Mes parents habitaient au Burundi à un moment donné. Ils sont Congolais de base mais mon père travaillait entre le Burundi et la RDC, et au moment où il avait une situation au Burundi, ils ont déménagé. Quand la guerre Hutu et Tutsi burundais a éclaté, en tant que Congolais, il a voulu retourner chez lui et je suis né pile-poil à la frontière du coup. Donc, je suis un enfant de la rue comme on dit souvent… J’étais devenu de plus en plus sensible à la question environnementale. Le souci est que je voulais vraiment m’engager mais que les seules associations environnementales que je connaissais - nous étions en 2015 -, c’était Greenpeace, dans lesquelles je ne retrouvais pas le lien avec l’exil. Ce n’était pas immédiat et ça me gênait beaucoup parce que je me disais en fait : mon histoire est où là-dedans ? J’ai pu faire le lien en faisant des recherches personnelles sur la guerre au Congo et la question environnementale. Le lien le plus évident, c’était le téléphone portable et je pouvais enfin faire le lien entre la région des Grands Lacs, mon parcours de vie et être ici en France. Le portable, tout le monde l’a dans sa vie, tout le monde a un bout de mon histoire dans cet objet. À cette époque déjà, l’extrême-droite s’acharnait sur les réfugiés, alors que moi je n’avais pas l’impression d’envahir un pays. En écoutant cette représentante de l’extrême-droite qui parlait, je me suis dit : « en fait, elle a un bout de mon histoire dans sa poche, à travers son écran, mais elle m’accuse d’envahir. » C’est devenu ainsi une lutte personnelle. Désormais, sur la question de la représentation des réfugiés dans cette cause environnementale, on arrive à mettre des mots avec l’écologie décoloniale de Malcom Ferdinand. Avant, je n’avais pas de mots aussi savants pour exprimer que par rapport à la question environnementale, les gens d’Uvira ne sont pas dans le même bateau que ceux de Lyon. Et jusqu’à présent, il n’y avait pas d’association qui liait la question de l’exil et celle de l’environnement. »

Le chantier d’une perspective décoloniale du numérique suppose donc de conjuguer une double approche matérielle et matérialiste du numérique, dénonçant l’extractivisme de ressources minières et l’exploitation humaine néo-coloniale en Afrique ou Amérique du Sud.

Cette perspective de la colonialité du capitalisme numérique est présente dans le travail de Nick Couldry et Ulises A. Mejias (2019), dans leur ouvrage The Costs of Connection. How Data Is Colonizing Human Life and Appropriating It for Capitalism qui intègre le « colonialisme numérique » dans l’histoire même du capitalisme :

« Le colonialisme peut sembler une chose du passé, mais ce livre montre que l’appropriation historique des terres, des corps et des ressources naturelles se reflète aujourd’hui dans cette nouvelle ère de datafication omniprésenteLa datafication est une tendance technologique transformant de nombreux aspects de notre vie en données, considérées comme des informations permettant la création d’une nouvelle forme de valeur. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Datafication. NDLR.. »

Suivant les auteurs, qui rappellent la logique intrinsèquement coloniale du capitalisme y compris numérique, de nombreuses régions du monde subissent désormais un état d’esclavage 2.0 et constituent aujourd’hui le terrain du colonialisme des données en écho aux empires industriels des précédentes révolutions industrielles. Du cobalt aux données, des mines au data center, la violence demeure, à la fois physique et symbolique, la vie même des creuseurs de minerai est mise en danger pendant que la vie privée des terriens devient une marchandise. De plus en plus de voix se lèvent pour faire le lien entre la militance décoloniale et la militance écologique sur le terrain du numérique. Ces luttes ne sont pas des mouvances exotiques et se développent au Congo RDC comme dans l’Allier, de la Kanaky au ChiliCf. le travail de convergence mené par l’association Génération Lumière, visant à rapprocher l’extractivisme dans le monde (https://www.debatpublic.fr/mine-de-lithium-allier https://generationlumiere.fr/lextractivisme-dans-le-monde/) et en France, notamment avec les projets miniers en cours comme la mine de lithium de l’Allier, qui commence à donner lieu à un intense débat public (https://www.debatpublic.fr/mine-de-lithium-allier)., pour dénoncer l’extractivisme minier qui se trouve au principe même du capitalisme et est intensifié par la numérisation généralisée. D’autres convergences de mobilisations s’établissent pour décoloniser les luttes techno-critiques contre la surveillance algorithmique ou l’addiction aux écrans. Au sein des luttes techno-critiques et décoloniales du numérique, il s’agit de dénoncer un capitalisme numérique, qui, dans un continuum extractiviste, accapare tout à la fois les milieux et les ressources, les esprits et les vies. De telles luttes, à la fois singulières et communes sur les plans conjoints du terrestre et du planétaire (Latour, 2007), mettent à leur façon en chantier la pensée des « trois écologies » de Felix Guattari (1989) associant l’écologie mentale, sociale et environnementale :

« Les perturbations écologiques de l’environnement ne sont que la partie visible d’un mal plus profond et plus considérable, relatif aux façons de vivre et d’être en société sur cette planète. L’écologie environnementale devrait être pensée d’un seul tenant avec l’écologie sociale et l’écologie mentale, à travers une écosophie de caractère éthico-politique. Il ne s’agit pas d’unifier arbitrairement sous une idéologie de rechange des domaines foncièrement hétérogènes, mais de faire s’étayer les unes les autres des pratiques innovatrices de recomposition des subjectivités individuelles et collectives, au sein de nouveaux contextes technico-scientifiques et des nouvelles coordonnées géopolitiques. »

En rappelant combien les subjectivités et les socialités contemporaines se trouvent recomposées par les milieux socio-techniques, Félix Guattari laisse entrevoir une perspective d’écologisation du numérique au plan même des pratiques ordinaires. Une voix éco-praxéologique peut être ainsi élaborée en résonance avec des programmes dé-connexionnistes qui viennent politiser les renoncements que suppose une redirection écologique guidée par les limites planétaires, telle qu’elle est conçue par certains auteurs (Monnin, 2023 ; Bonnet, Landivar, Monnin, 2019).

Politiques dé-connexionnistes : des micro-déconnexions ordinaires aux systèmes socio-techniques vivants

Suivant l’approche de « soutenabilité forte » déployée par le physicien José Halloy en termes de mise en phase des systèmes techniques avec les conditions bio-géo-physiques de la vie terrestre, il apparaît que le numérique relève d’une « technologie zombie, à la fois morte à l’aune de la durabilité et envahissant frénétiquement le monde au détriment des humain·es et de la biosphère » (Halloy, 2019). Ce premier constat peut être également associé à une caractérisation du numérique comme un de ces « communs négatifs » dont parle Alexandre Monnin :

« des ruines “ruineuses” constituées par les réalités techniques, managériales, économiques dont nous héritons, car une part toujours croissante de la population mondiale leur est liée à court terme, alors même que leur fonctionnement constitue le plus grand péril qui soit pour l’habitabilité de la planète à moyen terme ». (Monnin, 2023 : 39)

Les politiques dé-connexionnistes en matière de numérique ont été incarnées notamment par les auteurs de l’ouvrage Héritage et Fermeture (Bonnet, Landivar, Monnin, 2019), qui ont mis en avant des protocoles de renoncement anticipé et démocratiqueCf. La fresque du renoncement mis en place par Diégo Landivar et Victor Ecrement https://www.reseau-idee.be/fr/la-fresque-du-renoncement. Comme le souligne Alexandre Monnin :

« On retrouve ici la ligne de crête que nous avons décrite à l’orée du livre : impossible de tout abandonner d’un seul coup… Enquêter sur la possibilité et les effets du démantèlement [constitue une] réponse pas si éloignée du cadre deweyen de l’enquête pragmatiste, sur lequel nous avons pris appui […]. La déconnexion ou le démantèlement, de fins en soi, se muent en démarches expérimentales : la réponse n’est pas dans la question (le renoncement ou le démantèlement), mais dans l’enquête déployée en vertu d’un tel cadre qui constitue la trame d’un travail à mener, sans gager qu’il sera possible d’opérer un renversement total, ni qu’il sera couronné de succès (ce que présuppose l’hypothèse instrumentale). » (Monnin, 2023 : 109)

Cette dimension de l’enquête sur les pratiques de connexions propre aux politiques du renoncement, du fait de la réflexivité individuelle et collective qu’elles engagent, la distingue des injonctions hyper-individualistes et paradoxalement hyper-instrumentées à la « digital detox » ou à la « déconnexion digitale ». Comme l’exprime Magdalena Kania-Lundholm,

« l’idée sous-jacente est que dans ces usages de déconnexion, il y a une reconnexion à quelque chose d’autre – une forme d’authenticité, du temps, du soin, soi-même, ses proches, la nature, etc. ; en bref, un type de récit très investi par les études de déconnexion » (Kania-Lundholm, 2021).

Camille Paloque-Bergès (2022) dans un dialogue avec Charles Edgar MBanza et moi-même, remarquait de son côté avec justesse que

« ces phénomènes, qu’ils soient choisis ou subis, doivent cependant être mis en perspective avec un privilège de la (dé)connexion nécessitant de ne pas oublier les déterminants sociaux, selon le courant des Disconnection studies. Par ailleurs, les stratégies et tactiques de déconnexion partielle et/ou temporaires s’inscrivent dans une économie de l’attention oppressante où l’existence numérique est soumise à l’auto-promotion et à l’exploitation des données d’utilisateurs. La prolifération de nouveaux services de déconnexion s’accompagne d’applications qui suivent les utilisateurs dans leurs échappées hors-écran. »

Les politiques dé-connexionnistes supposent encore des dynamiques de dés-attachement, suivant les leçons de la « sociologie de la médiation » d’Antoine Hennion. Dans un article comparatiste célèbre consacré aux amateurs de musique et aux usagers des drogues, Emilie Gomart et Antoine Hennion avaient renouvelé l’appréhension strictement clinique de l’addiction en faveur d’une pragmatique de l’attachement et de ses médiations matérielles, techniques ou sociales. Les discours sur le numérique sont empreints de clichés pathologisant les usagers, ceux-ci reconduisant eux-mêmes ces clichés dans l’auto-description de leurs propres pratiques. Les leçons de plusieurs enquêtes ethnographiques nous enseignent l’existence de « protocoles ordinaires de renoncement » et nous conduisent à faire l’hypothèse que la connexion ordinaire est constitutivement disjonctive, en nous inspirant de la manière dont Appadurai (2015) qualifiait les flux culturels formateurs « d’ethnoscapes » typiques de la modernité post-coloniale. 

En enquêtant sur les pratiques de connexion par le biais d’observations et d’entretiens, ce sont des récits d’usages qui sont rapportés par les utilisateurs des terminaux et services numériques (Allard, 2015). Il se dégage de ces enquêtes familières endogènes, menées par les praticiens eux-mêmes lors de ces échanges, que, contrairement à une idée reçue sur le caractère addictif des écrans, nous ne sommes pas connectés à toutes les applications et à toutes les fonctionnalités, faute d’utilisabilité. Prenons le smartphone qui a souvent été comparé souvent à un « couteau suisse » communicationnel ; cet outil ne peut être praticable lorsque tous ses éléments sont ouverts au risque de se blesser sévèrement. Cela est encore plus vrai lorsque ce sont six écrans en moyenne qui sont co-présents dans l’espace d’un foyer (Arcom-Arcep-Ademe, 2024).  Ainsi, une partie des usages du numérique consiste à réfléchir à comment se connecter et donc à comment se déconnecter. Qui mettre en priorité: famille, ami.es, collègues? Sur quel canal de communication: sms, applications de messageries, direct message? Quand ? Sous quelle modalité: émoji, conversation orale, texto? Etc. Autant de questions qui supposent de trier les possibles et de renoncer à certains d’entre eux. C’est cette hyper-réflexivité qui est racontée comme une « fatigue de la connexion » par cette utilisatrice d’un portable et qui, à l’occasion d’un deuil, a préféré répondre brièvement par sms à sa famille plutôt que de converser longuement (Allard, 2015). Cette réflexivité des personnes qui pratiquent le numérique est au principe même de la connexion que l’on peut définir comme une « connexion disjonctive », consistant en une pratique ordinaire de « micro-connexions déconnectantes » (Allard, 2015).

Ainsi, entre hyper-connexion mythifiée et déconnexion radicale enjointe, la connexion est constitutivement accomplie par des séquences de micro-déconnexions. La connexion est vécue sur le mode d’un continuum de médiations entre des situations, des fonctionnalités, des services et des dispositions corporelles, mais elle n’est pas pour autant de l’ordre du branchement continu puisque s’accomplissant sur le mode de la discontinuité. L’usage d’une palette très large d’outils favorise cette expérience de la discontinuité : choisir d’être connecté à un service ou à un outil suppose de se déconnecter de tous les autres. C’est donc une dynamique particulière de la vie connectée que d’être vécue sur le mode de la déconnexion. Si la « connexion disjonctive » règle les usages, l’attachement au smartphone, par exemple, aménage ainsi une logique disjonctive entre connexions et déconnexions, qui, loin de l’abandon à l’addiction, nécessite un rapport réfléchi qui peut être ressenti comme accaparant. Tout aussi loin du mythe de la déconnexion radicale, ces micro-déconnexions continues constituent le mode disjonctif sur lequel les individus vivent leur « vie connectée ».

Cette enquête endogène menée par les usagers dans le cours même de leurs pratiques numériques suppose de veiller à leurs attachements numériques au quotidien et peut constituer une voie d’écologisation des pratiques de connexion. Avec les penseurs des politiques dé-connexionnistes, il est possible de compter la connexion disjonctive ordinaire comme opérateur d’un concernement quant à l’écologisation de nos usages numériques comprenant les trois écologies guattariennes. Cette veille attentionnelle qui paradoxalement nous attache aux puissances des métamedias (comme les désigne Yves Citton) implique encore des logiques de soin, une certaine « écologie de l’attention » (Citton, 2022).

Dans cette perspective, il est encore temps d’imaginer ce que José Halloy dénomme des « technologies vivantes qui auraient des propriétés du vivant, tant du point de vue de leur fonctionnement physico-chimique que des procédés de mise en œuvre » (Halloy J., Monnin A., Nova N. 2020).

Prendre soin et faire ressource des mines urbaines avec les nouveaux diggers de l’Anthropocène  

Comme le suggèrent Jérôme Denis et David Pontille, la maintenance représente en quelque sorte le versant “positif » de la double question de la fermeture et du renoncement. Car, s’il importe de souligner la nécessité de s’organiser pour interrompre la vie de certains objets et de certaines infrastructures, il ne faut pas laisser entendre pour autant qu’il suffirait de laisser les autres artefacts, ceux que l’on s’accorde à désigner comme justes et désirables, simplement continuer d’exister comme si cette continuité allait de soi (Jérôme Denis, David Pontille, 2022 : 405).

Et pour faire résonner ensemble plus encore la voix du renoncement et celle de la réparation, Alexandre Monnin rappelle que

« maintenance et fermeture ont d’autant plus évidemment partie liée que l’on ferme et l’on maintient en tant que processus d’individuation d’une entité à l’inverse de la destruction. La réparation et la maintenance s’affirment comme des thématiques de plus en plus légitimes et visibles. » (2023 : 111)

S’organiser autour des « communs négatifs » hérités de la numérisation généralisée des sociétés, instancier des collectifs de pratiques sobres et réparatrices, tel est l’horizon de celles et ceux que je désignerai ici comme les « diggers de l’Anthropocène »

Je m’attacherai ici plus précisément aux déchets numériques qui viennent se décomposer dans les mines urbainesPour une définition des « mines urbaines », voir cette présentation de la chaire de « Mines urbaines » (Paris Tech-Ecosystem) : « Sources de matériaux stratégiques, variés et continuellement renouvelés, les DEEE sont de véritables « mines urbaines », innovantes, disponibles et répandues dans notre société. Dans le contexte actuel d’épuisement des ressources naturelles, l’exploitation de ces mines, riches en matériaux plastiques et en métaux rares, est essentielle au développement d’une économie circulaire respectueuse de l’environnement et des citoyens » : https://mines-urbaines.eu/fr/accueil/ domestiques et se trouvent recomposés par des acteurs pluriels : des réparateurs associatifs, des designers ou des artistes concernés.

Les masses de déchets électriques et électroniques générées par l’obsolescence technique ou sociale et dont les éléments demeurent précieux notamment par leur composition en métaux et minerais, ne donnent pas lieu à un recyclage formel au sein d’une filière dédiée. Suivant le rapport de l’UNITAR (2024), « les “e-déchets” augmentent cinq fois plus vite que leur recyclage », le recyclage des déchets électroniques ne répondant pas à plus de 1 % de la demande pour les éléments essentiels des terres rares. Et de conclure: « le statu quo ne peut pas continuer ». Cela tient en partie aux coûts de la recyclabilité, alors que le montant récolté sur les matières premières traitées est infime: ainsi les écrans de téléviseur rapportent entre 5 et 15 euros au mieux (Simon, 2024).  Le plus dramatique, dans cette situation de non recyclabilité formalisée, est constitué par les coûts humains, qui rappellent que le travail des mines urbaines s’inscrit dans la suite de l’histoire coloniale du capitalisme. Une histoire coloniale qui se confond avec une logique extractiviste, d’exploitation des ressources matérielles et humaines, impliquant, dans le cas du numérique, les métaux, les mineurs et leurs enfants.

Ainsi, selon le rapport de l’OMS (2021) intitulé « Les enfants et les décharges de déchets électroniques »,

« pas moins de 12,9 millions de femmes travaillent dans le secteur informel des déchets, ce qui les expose potentiellement à des déchets électroniques toxiques et les met en danger, elles et leurs enfants à naître. Parallèlement, plus de 18 millions d’enfants et d’adolescents, dont certains n’ont pas plus de 5 ans, font partie de la main-d’œuvre active du secteur industriel informel, dont le traitement des déchets est un sous-secteur. »  

Mais plus généralement, il y a également tous les autres enfants qui habitent, vont à l’école et jouent à proximité des centres de recyclage des déchets électroniques. Eux aussi se trouvent exposés à des niveaux élevés de produits chimiques toxiques, tels le plomb et le mercure, qui peuvent nuire à leurs capacités intellectuelles. Au plan sanitaire,

« les enfants exposés aux déchets d’équipements électriques et électroniques sont particulièrement vulnérables aux produits chimiques toxiques qu’ils contiennent, en raison de leur plus petite taille, du moindre développement de leurs organes et de leur rythme de croissance plus rapide. Ils absorbent proportionnellement plus de polluants et leur organisme est moins capable de métaboliser ou d’éradiquer les substances toxiques. »

Au sein du chantier d’une éco-praxéologie du numérique, il s’agit donc de décoloniser la « technosphère » et de « faire avec » les « communs négatifs » hérités (Monnin, 2023), autour desquels il importe aussi de mobiliser, puisque l’empreinte environnementale du numérique ne s’effacera pas « naturellement ». Dans des ateliers menés, au cours des années 2020-2023, dans différents contextes (repair café, fablabs, salles de cinéma), j’ai pu accompagner des collectifs engagés dans le mouvement naissant de l’urban digging. En référence aux premiers « bêcheux » luttant contre les enclosures et pionniers du mouvement des communs s’opposant à l’appropriation privée des prés communaux au cours du XVIIe siècle (Hill, 1977), ainsi qu’aux artistes militants pour la culture libre dans le San Francisco des années 1966-1969 (Gaillard A, 2009), celles et ceux que j’aime à nommer les diggers de l’Anthropocène, en reconfigurant des communs négatifs extraits avec ingéniosité des mines urbaines domestiques du XXIe siècle, développent une pratique du numérique à partir du « déjà là », loin de l’injonction au « toujours nouveau » des zélotes de l’innovation technologique. Pour ce faire, il importe, comme y insistent les designers Yasmine Abbas et DK Osseo-Asare (2022), de reconsidérer le déchet depuis sa valeur regénérative, comme une ressource pour tous ceux qui vivent du recyclage informel. Iels ont ainsi initié un fablab mobile et open source (AMP) dans le bidonville d’Accra, à Agbogbloshie, où des milliers de tonnes de déchets électroniques sont déversés et brûlés pour en récupérer les métaux. Le but de ce fablab est de réutiliser fonctionnellement et créativement les déchets numériques suivant une écologie de l’ensobrement réparateurVoir le site présentant la plateforme AMP (Agbogbloshie Makerspace Platform) : https://qamp.net/about/. A rebours de la surconsommation et de l’accélération du cycle de changement de smartphone tous les deux ans en moyenne (Ademe, Fangeat E. et alii, 2017), l’ensobrement devient une démarche d’intensification de l’existant. Cette notion vient renouveler la grammaire de la sobriété, qui n’est plus à appréhender comme un état de manque mais au contraire comme une invitation à une « suffisance intensive » (Nathan Ben Kemoun et alii, 2024). Ensobrer suppose de faire durer, de faire du neuf et parfois de savoir se dispenser de ces terminaux et périphériques, comme le suggèrent Cyprien Gay et Caroline Lemerle du Repair Café du 5ème arrondissement (lors d’un entretien que j’ai eu en 2022) : 

« C.G : Il y a chez nous l’idée que la personne apprenne à connaître l’intérieur de l’appareil, qu’elle comprenne comment prendre soin de l’appareil à l’avenir. Comment ça marche un thermostat ? Comment ne pas l’abîmer ? Cela passe donc par le fait de raconter comment cet objet fonctionne, les gestes à éviter. C’est un trait courant dans les repair cafés, et on va plus ou moins loin suivant les gens. Mais on va aussi questionner l’utilité de l’objet, comment vivre sans, par exemple comment remplacer certains avec des objets à usage collectif, comme dans le cas des imprimantes. À ce sujet, on prête souvent des appareils pour des travaux, comme une perceuse ; mais l’on n’a pas encore proposé un pool d’imprimantes, même si ce serait peut-être pertinent […] Cela dit, pour des objets comme les téléphones portables, les ordinateurs, ou les connexions internet, cela ne prend pas la voie de la collectivisation. Il y a des gens pour qui c’est impensable.

C.L : Dans tous les cas, on essaye de provoquer cette discussion sur le ton de l’humour : est-ce que vous pourriez vivre sans grille-pain ? Si ça fait trois heures qu’on essaie de le réparer, on peut poser la question ! »

L’ensobrement réparateur que prodiguent les collectifs organisés autour des ressources paradoxales que représentent les mines urbaines, s’inscrit, à son échelle organisationnelle – et en l’absence, paradoxalement bénéfique, d’une filière industrielle de recyclage – comme un geste de recherche d’une soutenabilité forte supposant une durabilité de très longue durée, au-delà des siècles. Selon le physicien José Halloy (2019), la « durabilité » implique

« que l’ensemble des matériaux, des procédés de fabrication et du maintien en fonctionnement puissent perdurer dans la longue durée, sans épuisement des ressources matérielles nécessaires, ni une utilisation d’énergie non renouvelable en particulier d’origine fossile carbonée (charbon, pétrole, gaz). »

Ainsi, suivant une étude de l’Ademe de 2017, l’allongement de vie d’un smartphone à 3 ans permet d’économiser 24 kg CO2; le faire réparer permet que 5 kg équivalent CO2 soit économisé; faire durer permet d’économiser 20 Kg équivalent CO2. Plus encore, si l’ensemble des télévisions, ordinateurs portables, smartphones et machines à laver avaient une durée d’usage de 1 an de plus, c’est 1 % de l’empreinte carbone de la France qui serait évité (Ademe, Fangeat E. et alii, 2017).

En guise de conclusion, rappelons que l’objectif de ces lignes étaient de présenter différentes perspectives, à des échelles organisationnelles parfois modestes mais salvatrices au plan des concernements et des engagements, en faveur d’une écologie décoloniale du numérique. Les responsabilités individuelles et collectives, en matière de redirection écologique du numérique sont à prendre en considération au travers des jeux d’acteurs différenciés s’engageant dans des jeux d’échelles spatiales et temporelles différenciées, multiples. Parmi ces acteurs, mentionnons encore le rôle des pouvoirs publics (Plan Action) et des législateurs avec loi AGEC de 2020 (indice de réparabilité, bonus réparation et plus récemment indice de durabilité), ainsi que le rôle des régulateurs comme Arcep-Ademe, qui se sont attelés au chiffrage depuis 2022 sous la pression de lanceurs d’alertes tels que le think tank Shift Project (2018).

Ainsi le chantier de l’écologie décoloniale du numérique se trouve porté par différentes entités sociales qui configurent quelque chose comme un « contre-anthropocène » (Chateauraynaud, Debaz, 2017), qu’il s’agisse des mobilisations pour la traçabilité des « minerais du sang » extraits dans des conditions de violences extrêmes au Congo RDC, ou du développement des repair cafés et d’autres lieux de soin des machines dans lesquels on peut apprendre aussi à de dispenser de certains objets ou à les mutualiser, comme les projets de « blanchisserie numérique » ou encore les projets autour des mines urbaines domestiques et les surcyclages créatifs à accomplir.

Faire durer, réparer, re-créer, autant de matérialité minérale, métallique et fossile épargnée et de ressources regénérées en tant que « communs négatifs » dans un souci de justice socio-environnementale, un souci qui n’est partagé que par des collectifs minorés mais dont l’enquête et l’expérimentation font émerger, sur un fil de crête, entre connexion disjonctive et ensobrement réparateur, la voie d’une écologie décoloniale du numérique.

Il faut cependant ne pas abandonner toutes les promesses de l’expressivité sociale portées par le numérique, afin précisément d’éviter une autre sorte de néo-colonialisme numérique à l’envers : il existe des pays et des peuples pour lesquels le pouvoir-dire par l’intermédiaire de ces technologies de communication rend possible parfois d’informer dans des contextes non démocratiques, de mobiliser et solidariser à l’échelle transnationale, avec et sans la machinerie infernale des algorithmes. La « puissance populaire » des métamédia (Citton, 2022) peut aussi congédier l’impuissance coincée dans la toile du capitalisme numérique. In fine, la voie des communs numériques, qui suppose d’autres liaisons numériques via des archipels de connexion, reste importante à maintenir car elle suppose une certaine appropriation technique et créative de technologies au devenir convivial.

 

BIBLIOGRAPHIE

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Comment citer ce texte

Laurence Allard , « Décoloniser l’écologie du numérique », Les Temps qui restent, Numéro 3, Automne (octobre-décembre) 2024. Disponible sur http://lestempsquirestent.org/en/numeros/numero-3/des-connexions-disjonctives-ordinaires-a-l-ensobrement-reparateur-ou-quelles-voix-pour-decoloniser-l-ecologie-du-numerique