Le nouvel ouvrage de Pierre Dardot et Christian Laval prolonge et approfondit les problématiques abordées dans Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident (2020), tout en résonnant avec les réflexions déjà esquissées dans Commun. Essai sur la révolution au XXIᵉ siècle (2014). Au cœur de leur démarche se trouve une interrogation persistante sur l’État et la nécessité de son dépassement, dans la perspective d’une cosmopolitique des communs. Il ne s’agit pas seulement d’une critique théorique, mais d’un projet de transformation profonde des formes d’organisation politique, économique et sociale.
Les auteurs partent des dynamiques existantes, se veulent à l’écoute des processus en cours — selon leur propre formule, « se faire l’organe de ce qui se passe » — et proposent un travail d’élucidation critique des théories contemporaines. C’est dans ce cadre qu’ils examinent l’histoire et les limites du mouvement altermondialiste, apparu à la fin du XXᵉ siècle et affaibli après la crise financière de 2008. Bien qu’il ait su résister à la tentation d’une réhabilitation étatique et nationaliste, l’altermondialisme n’a pas su — ou pas voulu — produire une théorie générale des biens communs, alors même qu’il y faisait bien souvent référence.
L’expérience zapatiste occupe une place importante dans l’analyse, en tant qu’exemple concret d’un cosmopolitisme ancré dans l’autogouvernement local, c’est-à-dire dans la gestion autonome des lieux de vie et des activités quotidiennes. Ce sont également les luttes des peuples autochtones, porteurs d’une vision du monde non étatique, qui nourrissent la réflexion des auteurs.
L’ouvrage se clôt non pas sur des solutions arrêtées, mais sur une série de tracés : autant de pistes stratégiques issues des luttes contemporaines. Il s’agit de rendre possible et concrète une cosmopolitique des communs. Cette voie se veut résolument anticapitaliste, antisouverainiste et antinationaliste.
Ce cosmopolitisme des communs invite à renoncer à l’idéal abstrait d’une communauté mondiale unifiée. Car « se demander ce que peut être une organisation cosmopolitique de la planète, c’est remettre l’État souverain en débat ». Ce renversement s’ancre dans les milieux de vie, en redonnant sens à la notion d’indigène, désormais comprise en tant que personne ou communauté qui se sent une propriété de la terre et non le propriétaire de celle-ci.
L’ouvrage et l’interview sont l’occasion de mettre en dialogue l’éco-marxisme et les pensées du vivant. La confrontation vive entre ces deux horizons théoriques et pratiques nécessite un travail de conciliation, auquel cette publication entend contribuer. Il s’agit là, peut-être, d’une des priorités au sein des sciences humaines et sociales.