L’organisation des Jeux olympiques d’été est-elle rentable ?

Les retombées économiques des Jeux olympiques de Paris 2024 ne posent pas seulement des questions de fait, mais aussi de méthode. Romain Vielfaure revient ici sur certains travaux d’économistes qui permettent de comprendre la nature du problème. Il en ressort que, si le Comité International Olympique (CIO) et les sponsors en sortent gagnants, ce n’est pas le cas pour les villes-hôtes. Mais peut-être le principal bénéfice secondaire qu’on peut attendre de l’organisation des JO de Paris est-il de nous inciter à réfléchir à la manière d’évaluer les coûts et avantages de nos actions en ce monde fragile…

À l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024 la question de la rentabilité des Jeux olympiques d’été fait à nouveau surface. Les chiffres mis en avant sont très variables, interprétés de manière diverse, et il nous paraissait nécessaire de proposer une rapide synthèse économique sur le sujet.

Les Jeux olympiques d’été sont considérés comme l’événement sportif le plus important qui soit ; ils ont lieu tous les quatre ans, et mobilisent entre 5 et 10 millions de spectateurs (7,5 millions en 2016 à Rio) et entre 3 et 4 milliards de téléspectateurs (3,64 en 2016Nous avons décidé de ne pas mentionner les JO de Tokyo 2021 car la pandémie a conduit à de grandes modifications du point de vue de son organisation et de sa tenue, et il semble à ce titre difficile d’en comparer les chiffres avec ceux des autres éditions, passées et à venir.). Le budget annoncé par les organisateurs représente en moyenne autour de 10 milliards de dollars, exception faite du budget pharaonique des Jeux olympiques de Pékin (2008) qui atteignait 36 milliards de dollars. De nombreux acteurs entrent en jeu : outre le pays hôte, et plus précisément la ville-hôte, au sein de laquelle on distingue les contribuables qui financent via leurs impôts, les commerçant·e·s qui espèrent des bénéfices et le pouvoir politique qui tente d’asseoir son image et constitue un Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO), il faut également considérer le Comité International Olympique (CIO), dont les membres choisissent la ville-hôte parmi plusieurs candidates, et les sponsors principaux (tels Coca-Cola Mc Donald’s ou Visa) du CIO ou de la ville-hôte (pour Paris 2024 : LVMH, Orange ou BNP Paribas). Ainsi, se poser la question de la rentabilité de l’organisation d’un tel événement, c’est se demander pour qui il peut être rentable : par exemple, s’il semble difficile qu’il le soit pour tous les contribuables de la ville-hôte, on peut penser qu’il en est bien autrement pour les sponsors. De plus, il faut prendre en compte le fait que les habitant·e·s de la ville-hôte considèrent l’organisation des Jeux olympiques (JO) également d’un point de vue non économique (possibilité de voir de grands sportifs, de redorer l’image de la ville, mais aussi difficultés de circulation, pollution), contrairement aux sponsors.

Le CIO a fortement intérêt à ce que les JO soient rentables pour toutes les forces en présence. En premier lieu, il est financé seulement par les recettes permises par les JO (en particulier la vente des droits télévisés), et est dans l’obligation d’effectuer des bénéfices, sinon son existence serait compromise. De plus, les JO doivent être rentables pour les villes-hôtes afin d’assurer leur pérennité ; en effet, si ce n’était pas le cas, il y aurait un risque pour le CIO qu’aucune ville ne présente sa candidature à l’organisation des JO à venir. Enfin, si l’on souhaite que les sponsors demeurent nombreux, il faut qu’ils aient une assurance de retirer des bénéfices.

Si, comme nous le verrons, la rentabilité est quasi assurée pour le CIO et les sponsors, une question porte plus à débat : les Jeux olympiques sont-ils rentables pour le pays organisateur et la ville-hôte ? On observe que les chiffres sont extrêmement variables selon les économistes et bureaux d’étude : seuls les Jeux olympiques de Los Angeles (1984) font consensus : on s’accorde uniformément pour dire qu’ils ont généré un bénéfice, entre 100 et 150 millions de dollars. Comment expliquer les différences entre les chiffres mis en avant pour les autres éditions ? Comme nous le verrons, la rentabilité de l’organisation des Jeux olympiques est très difficile à calculer, notamment parce qu’elle implique non seulement des dépenses pour les infrastructures sportives, mais aussi de nombreuses dépenses extra-sportives : parmi un grand nombre d’autres paramètres, il faut par exemple assurer un nombre suffisant de transports, de logements, ainsi que la sécurité de tous. De plus, les effets des Jeux olympiques semblent devoir être calculés à très long terme : les contribuables peuvent mettre des dizaines d’années à rembourser les dépenses (30 ans pour les JO de Montréal qui eurent lieu en 1976) ; de même, si l’image de la ville-hôte a été améliorée, il faut étudier les effets sur le tourisme sur une durée relativement longue.

Après un point rapide sur la rentabilité pour le CIO et les sponsors, je poserai deux questions essentielles pour évaluer la potentielle rentabilité de l’organisation des Jeux olympiques. J’exposerai d’abord pourquoi il est si difficile de calculer la rentabilité de l’organisation d’un tel événement en prenant en compte le plus grand nombre possible de paramètres. J’expliquerai ensuite pourquoi le mode d’attribution des JO par le CIO peut conduire à une « malédiction du vainqueur », phénomène bien connu de la théorie des enchères, auquel d’ailleurs le CIO tente désormais de remédier. Je terminerai sur quelques remarques concernant la rentabilité de Paris 2024. Je m’appuierai pour tout cela essentiellement sur les travaux de Éric Barget et Jean-Jacques GouquetÉ. Barget et J.-J. Gouquet, Évènements sportifs ; Impacts économique et social, De Boek, Louvain-la-Neuve, Belgique, 2010., et surtout de Wladimir AndreffW. Andreff, Mondialisation économique du sport, Louvain-la-Neuve, Belgique, De Boeck, 2012., qui ont un peu plus d’une dizaine d’années mais permettent d’évaluer la question sur le temps long et au niveau des principes fondamentaux. Les travaux plus récents ne me semblent pas modifier fondamentalement les paramètres de la question.

1. Une opération profitable pour les sponsors et le CIO

a) Le CIO

Il faut tout d’abord noter que l’organisation des JO est rentable pour le CIO et les sponsors. Le CIO tire ses revenus de quatre sources : les droits télévisés (environ 4 milliards de dollars pour les JO de 2016), le programme de sponsoring (environ 1 milliard pour les mêmes Jeux) et, dans une moindre mesure, les licences pour l’exploitation des produits dérivés et la billetterie. Le CIO conserve 10% de la somme totale liée à ces licences, et reverse 90% au Comité d’Organisation des JO de la ville-hôte, aux comités nationaux olympiques et aux fédérations sportives internationales. Pour le CIO, l’organisation des JO a ainsi toujours été rentable.

b) Les sponsors

De la même manière, l’organisation des JO est extrêmement profitable aux sponsors officiels du CIO (Coca-Cola, Mc Donald’s ou Intel). En effet, du fait d’un accord entre le CIO et le pays-hôte, ces sponsors ne sont pas imposables dans ledit pays l’année des JO. De plus, ils obtiennent parfois un droit d’exclusivité, comme en 2004, olympiade durant laquelle il était impossible d’acheter sur les lieux des JO des boissons autres que celles vendues par les marques du groupe Coca-Cola. L’exemple de cette marque est révélateur : en 2008 et 2012, ces revenus ont été supérieurs à ceux de l’année précédente et de l’année suivante. Les années de JO représentent ainsi des moments de bénéfices exceptionnels. Il en va de même pour les sponsors de la ville-hôte, même si leurs bénéfices varient selon les éditions.

Qu’en est-il pour les villes-hôtes ?

2. Le calcul de la rentabilité : une question qui divise

a) Des chiffres très différents

La candidature d’une ville pour l’organisation des Jeux olympiques repose sur l’idée que le projet puisse être rentable ; en effet, il paraît peu probable qu’une ville accepte d’entreprendre un tel projet à moins d’être assurée de sa réussite financière. Pourtant, depuis longtemps nombre d’économistes, tels Éric Barget et Jean-Jacques GouquetÉ. Barget et J.-J. Gouquet, Évènements sportifs ; Impacts économique et social, op. cit., ont pointé du doigt la difficulté à mesurer les retombées économiques liées à l’organisation des Jeux olympiques.

De fait, les chiffres proposés diffèrent grandement. Ainsi, selon le cabinet d’étude Sport+Markt, les Jeux olympiques auraient dans l’ensemble rapporté plus qu’ils n’ont coûté depuis 1980 : 220 millions de dollars de bénéfice pour Los Angeles (1984) et Séoul (1988), 10 millions pour Atlanta (1996) et même 145 millions pour Pékin (2008) alors qu’il s’agissait des JO les plus chers de l’histoire. De même, au moment de la candidature de Londres pour 2012, la banque d’investissement Goldman Sachs mettait en avant la rentabilité de l’organisation de ces JO. Pourtant, des économistes comme É. Barget et J-J. Gouguet ou encore Wladimir Andreff, affirment que seuls les JO de Los Angeles ont procuré des bénéfices à la ville-hôte. Ce dernier dénonce le fait que les études d’impact sont souvent majorées par les bureaux d’études dans le but d’aller dans le sens de la demande politique, tandis que Christophe Lepetit, économiste au Centre de Droit et d’économie du sport, déplore leur manque de rigueurJ. Latta, « Qui touchera « l’héritage » économique de Paris 2024 ? », Alternatives Economiques, 28 mars 2024 (en ligne : https://www.alternatives-economiques.fr/touchera-lheritage-economique-de-paris-2024/00110182)..

Comment trouver un moyen objectif de calculer la rentabilité de l’organisation des JO ? Il faut dans un premier temps nous intéresser à la méthode traditionnelle de calcul de l’impact économique.

b) Le calcul de l’impact économique

Un événement sportif crée toujours des retombées économiques et sociales, positives et négatives. Il a donc un impact sur l’économie du lieu géographique qui l’accueille, argument d’ailleurs avancé dans tout dossier de candidature. Il faut spécifier la nature des retombées et le territoire économique sur lequel elles se diffusent. Le calcul de l’impact économique de l’organisation des JO n’est pas aisé, en particulier parce qu’il faut s’intéresser à des facteurs de nature différente. Il faut en effet saisir de manière précise les retombées monétaires positives (tourisme par exemple) et négatives (coûts d’organisation), mais également les retombées non-monétaires, qui là encore peuvent être positives (amélioration de la réputation de la ville-hôte) ou négatives (coût environnemental). W. Andreff en arrive ainsi à proposer l’opération suivante, qui pourrait permettre de mesurer l’impact économique de l’organisation d’un événement sportif comme les JO :

Valeur créée nette = (Retombées monétaires + Effets externes) positifs – (Retombées monétaires + Effets externes) négatifsW. Andreff, Mondialisation économique du sport, op. cit., p. 126..

Comme le mettent en avant E. Barget et J-J. Gouguet, il convient d’éviter deux difficultés majeures, que la plupart des bureaux d’étude minimisent : la surestimation des retombées positives et la sous-estimation des retombées négatives, difficultés qui conduisent souvent à un recalcul à la hausse au moment de la préparation des JO. L’exemple paradigmatique paraît être celui de Londres qui, lors de sa candidature en 2005, avait annoncé un budget de 4 milliards de dollars, avant de le multiplier par trois en 2007. Comment cela a-t-il été possible ? On a eu tendance à majorer l’impact positif, par exemple en prenant en compte tout le chiffre d’affaires des restaurateurs, alors qu’ils auraient bien entendu eu un chiffre d’affaires sans les JO : il faudrait ne garder que la valeur ajoutée. De même, on ne peut dire que l’ensemble des touristes présents au moment des JO le sont grâce à ceux-ci ; hors période de JO il y a bel et bien un certain nombre de touristes, qu’il faudrait déduire. À l’inverse, les coûts de sécurité, de police, sanitaires voire de transports peuvent être omis ou minorés et ce d’autant plus facilement que ce sont des coûts extra-sportifs.

De plus, Wladimir Andreff constate les limites du calcul d’impact :

La méthodologie de l’étude d’impact n’est pas capable, et n’est pas conçue pour tenir compte du coût d’opportunité de l’événement sportif. Les sommes investies dans l’organisation de l’événement sportif auraient pu l’être dans un autre projet, une école, un hôpital. Les avantages pour la population d’un hôpital est ce dont elle sera privée si l’investissement choisi est l’événement sportif et non l’hôpital ; c’est le coût d’opportunité de l’événement sportif, et il devrait logiquement être déduit de l’impact positif de celui-ciId., p. 133..

Par ailleurs, il est difficile de quantifier certaines données très importantes comme le sentiment, positif ou non, de la population habitant dans la ville-hôte. Selon E. Barget et J-J. Gouguet, il est souvent majoré, alors que, dans le cas des JO, contrairement à une coupe du monde, il n’y aurait pas de changement significatif du sentiment de bien-être des habitant·e·s.

En plus de ses inconvénients intrinsèques, le calcul d’impact conduit ainsi à des résultats différents selon les données que l’on veut mettre en avant, et l’absence de normes internationales permettant de contrôler les résultats a ainsi conduit E. Barget et J-J. Gouguet à proposer un guide méthodologique commun. Cet ensemble de difficultés a néanmoins conduit de nombreux économistes à délaisser le calcul d’impact pour lui préférer l’analyse coûts-avantages, qui était déjà très utilisée dans le secteur des transports.

c) Une méthode plus juste : l'analyse coûts-avantages

Le principal atout de l’analyse coûts-avantages (ACA) est sans doute sa prise en compte les avantages et inconvénients sociaux de l’organisation des JO. L’ACA tente ainsi d’exprimer monétairement les effets non-monétaires des JO (image de la ville, sentiment de bien-être des habitant.e.s etc.) et de prendre en compte son coût d’opportunité (suivant l’exemple de l’hôpital cité plus haut). L’ACA semble alors permettre de donner une estimation qui ne soit pas seulement économique, mais rende compte de la valeur totale d’un événement sportif.

La valeur totale est la somme de la valeur d’usage et de la valeur de non-usage de l’événement sportif. La valeur d’usage est tout simplement constituée par les bénéfices que tire une personne qui assiste à un événement. La valeur de non-usage est un concept moins traditionnel et plus difficile à cerner et à mesurer. Elle représente la valeur qu’attribuent à l’événement sportif les personnes qui ne le consomment pas. Celles-ci peuvent considérer que le fait d’accueillir les JO dans leur ville a, pour diverses raisons (sentiment de bien-être, image positive de la ville, mais également difficultés de circulation, gentrification), une certaine valeur, et elles sont éventuellement disposées à payer des impôts qui serviraient à subventionner l’organisation locale des Jeux. Cette valeur est par essence non marchande, et il est difficile de la mesurer avec certitude.

Ainsi, si l’ACA parait plus rigoureuse que le calcul de l’impact économique, il faut bien noter qu’elle oblige l’économiste à adopter certains présupposés au moment de tenter de rendre compte d’un point de vue monétaire des avantages et inconvénients non-monétaires pour la ville-hôte. De plus, il est parfois difficile de saisir avec certitude à quelle proportion l’inflation ou la spéculation immobilière à l’approche des JO est liée à des facteurs endogènes ou exogènes.

d) Un déficit récurrent

Quels points saillants apparaissent lorsque l’on prend en compte le plus grand nombre possible de facteurs ? Tout d’abord, le coût anticipé des JO a quasiment toujours été bien inférieur au coût réel, comme le montre le graphique suivant :

Graphique tiré de B. Flyvbjerg et A. Stewart, « Olympic Proportions: Cost and Cost Overrun at the Olympics 1960-2012 », Saïd Business School Working Papers, University of Oxford, 2012
(DOI : 10.2139/ssrn.2238053).

De plus, selon nombre d’économistes indépendants, tous les JO ont été déficitaires mis à part ceux de Los Angeles en 1984. Comment l’expliquer ? Il semblerait que le mode d’attribution par le CIO ait une forte influence sur le budget des villes candidates à l’organisation des JO.

3. Mode d’attribution et winner’s curse (malédiction du vainqueur)

a) Nécessité de rentabilité pour le CIO

Il nous faut dans un premier temps rappeler comment fonctionne le CIO. Ce comité a comme seule source de revenu les recettes des JO, en particulier, on l’a vu, ceux liés aux droits télévisés et au sponsoring. Les JO étant organisés tous les quatre ans, ces bénéfices doivent donc permettre au CIO de subvenir à ses besoins jusqu’aux JO suivants. Par conséquent, celui-ci cherche à vendre les droits télévisés au plus haut prix possible ; pour cette raison, il a intérêt à choisir un des projets les plus grandioses parmi ceux défendus par les villes-hôtes, quitte à accepter les analyses les plus optimistes quant à la possible rentabilité pour la ville candidate.

b) La vente aux enchères et sa conséquence : la malédiction du vainqueur

Selon Wladimir Andreff, il faut en passer par la théorie des enchères pour comprendre le déficit chronique : lors du choix de la ville-hôte, chaque ville doit miser plus pour avoir une chance de gagner. La winner’curse (« la malédiction du vainqueur » de l’enchère), notion classique de la théorie des enchères depuis sa première formulation en 1971E. C. Capen, R. V. Clapp et W. M. Campbell, « Competitive Bidding in High-Risk Situations », Journal of Petroleum Technology, 1971, p. pp.641-653, fournit une explication des causes profondes de la déception du gagnant de l’enchère, due à des coûts plus élevés qu’initialement prévu. L’écart entre coûts anticipés ex ante et coûts observés ex post est inhérent au processus de candidature et d’enchères lui-même, dès lors qu’il y a plus d’une ville candidate à organiser les JO. Comme l’observe Wladimir Andreff, « à chaque fois, il est observé qu’un processus dont l’objet de l’enchère a une valeur incertaine mais qui, en fin de compte, est la même pour tous les candidats, gagnants et perdants, le gagnant est celui qui a le plus surestimé la valeur de l’objet et ainsi remporté l’enchère en surenchérissant sur tous ses concurrentsW. Andreff, Mondialisation économique du sport, op. cit, p.121.. » Lors de l’organisation des JO, personne ne peut connaître avec certitude les bénéfices à venir, puisqu’ils ont été relativement variables selon les éditions précédentes. Il est par conséquent particulièrement risqué de surenchérir.

Pour lancer le processus d’enchère, le CIO annonce des quantités à produire, à savoir un assortiment déterminé (non négociable) d’équipements sportifs qui devront être opérationnels à l’ouverture des Jeux. Il s’y ajoute, même s’il ne s’agit pas de normes quantitatives explicites, un certain nombre d’infrastructures non sportives : transport, télécommunications, aménagement urbain. Le CIO a ainsi intérêt à pousser les villes candidates à proposer des projets grandioses, de manière à s’assurer notamment des droits télévisés toujours plus élevés. Le processus de surenchère profite donc au CIO de ce point de vue, et a toujours eu lieu sauf en 1984, Los Angeles étant alors la seule ville candidate. Il semble donc que le projet de 1984 soit le seul qui ait été rentable justement parce qu’il n’y a pas eu de vente aux enchères. À l’inverse, la plupart du temps, comme pour 2012 et 2016, ce sont les projets les plus coûteux qui ont été choisis. Par conséquent, il paraît bien que le mode d’attribution du CIO et sa quête de rentabilité moins pour la ville-hôte que pour lui-même conduise à une mise en danger du budget des villes candidates, qui sont conduites à surenchérir constamment.

Il est à noter que, depuis quelques années, le CIO a pris en compte ces difficultés, et tente de les atténuer sur les conseils de plusieurs économistes dont W. Andreff. Ainsi, le mode d’attribution pour les JO de 2032, qui se tiendront à Brisbane, a été modifié : désormais, le CIO tente d’accompagner les villes candidates et de dissuader les villes proposant un modèle économique trop ambitieux, de manière à pousser les projets les moins fiables à l’abandon. Ainsi Brisbane était la seule ville à demeurer candidate à l’issue de ce processus, et a donc obtenu l’organisation sans avoir à trop surenchérir. Le fait de pousser les moins bons projets à l’abandon plutôt que les meilleurs à la surenchère permet ainsi d’atténuer la « malédiction du vainqueur », sans pour autant totalement supprimer cette difficulté : il n’empêcherait pas la surenchère si deux villes particulièrement déterminées demeuraient candidates. D’autres méthodes sont par conséquent proposées, comme l’idée d’une sélection par système de loterie, préconisée par Wolfgang MaennigIdée résumée par W. Andreff dans M. Koebel, « Grand entretien avec Wladimir Andreff », Savoir/Agir, vol. 64, no 1, Éditions du Croquant, 2024, p. 183-201. ; la ville retenue serait choisie au hasard, et il n’y aurait de ce fait plus aucune raison pour les candidates de gonfler leurs prévisions.

c) Quelles conséquences économiques pour Paris 2024 ?

Comme le note Wladimir Andreff, « depuis l’attribution (en 2001) des Jeux 2008 à Pékin, l’objectif affiché – mais non atteint – par le CIO est de faire baisser le coût et le gigantisme des JOW. Andreff, Mondialisation économique du sport, op. cit.. » On l’a vu, la baisse du nombre de candidats est un moyen efficace de lutter contre la « malédiction du vainqueur ». L’énormité du budget de Pékin et les difficultés rencontrées par celui de Londres ayant refroidi l’ardeur des candidats, les candidatures de Paris (2024) et Los Angeles (2028) ont ainsi moins pâti de la surenchère.

Lors de sa candidature, la ville de Paris a mis en avant un budget de 6 milliards, dont un tiers de fonds public, espérant ainsi se situer en-dessous de la moyenne des précédentes éditions. De plus, la Cour des comptes a été mandatée afin d’effectuer des audits externes réguliers, de manière à éviter une augmentation exponentielle des coûts. Pourtant, du fait de coûts sous-estimés et de l’inflation, ce montant est désormais estimé à 8,9 milliards par le CDESC. Angleraud, « Publication de l’actualisation de l’étude d’impact économique ex-ante de Paris 2024 », sur CDES, 14 mai 2024 (en ligne : https://cdes.fr/2024/05/14/actualisation-de-letude-dimpact-economique-ex-ante-de-paris-2024/)., et pourrait passer à 10 milliards, estime W. AndreffW. Andreff, « L’accueil des JO à Paris, regard de l’économiste, Wladimir Andreff », Conférence à la Sorbonne (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=sr3FTJUJyr0).. Les bénéfices étant estimés entre 5 et 8 milliards (en baisse notamment du fait de l’inflation), les JO de Paris devraient donc certes être moins déficitaires que les précédents, mais déficitaires tout de même. Reste à savoir si l’arrivée de nouveaux sponsors (phénomène observé sur de précédentes éditions) permettra d’éviter que ce déficit se répercute sur les organisateurs publics. Tant que les JO n’ont pas eu lieu, il est difficile d’obtenir un résultat certain ; après leur tenue viendra l’heure des comptes.

La question de la rentabilité de l’organisation des JO est une question éminemment politique, puisqu’elle est censée justifier le fait de porter ou non sa candidature au CIO. On remarque que le sens économique de « rentabilité » doit être élargi afin de mieux mesurer les effets de cet événement : il faut prendre en compte l’évolution de l’image de la ville-hôte, le sentiment de bien-êtreLe dernier sondage Ipsos sur la question donne à voir des résultats mitigés, l’indifférence étant le sentiment le plus mis en avant par les sondé·e·s. P. Latrille et A. Leray, « Le regard des Français sur les Jeux Olympiques de 2024 | Ipsos », s. d. (en ligne : https://www.ipsos.com/fr-fr/le-regard-des-francais-sur-les-jeux-olympiques-de-2024?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR2q6PJE0E3CQhfI2eHBXsvqwPDoAWf5uPafswbDMDBw8EE-Yu-WGr8Ww0k_aem_ZmFrZWR1bW15MTZieXRlcw). ou l’impact écologiqueL’objectif officiel étant d’émettre 1,5 million de tonnes équivalent CO2, soit deux fois moins que les éditions précédentes. Cela reste cependant insuffisant pour de nombreuses ONG. Voir par exemple Reporterre, « Les JO de Paris 2024 : un échec écologique annoncé », sur Reporterre, le média de l’écologie - Indépendant et en accès libre, s. d. (en ligne : https://reporterre.net/Les-JO-de-Paris-2024-un-echec-ecologique-annonce).. C’est peut-être justement parce qu’il est considéré que l’organisation des JO produit une meilleure image de la ville-hôte que celle-ci a pu mettre de côté l’impact économique souvent négatif, qui est souvent la conséquence des surenchères lors de la candidature des villesIl faut cependant in fine remarquer que la « malédiction du vainqueur » est désormais prise au sérieux par le CIO, qui tente par conséquent de minimiser le phénomène de surenchère. Si ce dernier a été relativement faible lors de l’attribution de Paris 2024, notamment parce que de nombreuses villes, parmi lesquelles Rome, Boston ou Budapest, ont retiré leur candidature, on remarque que l’augmentation du coût économique de ceux-ci mènera certainement à un déficit ; reste à savoir si celui-ci sera léger ou plus conséquent, et s’il aura une incidence néfaste profonde sur la ville-hôte.. Mais cet impact économique négatif ne devrait-il pas lui aussi donner lieu à un effort d’objectivation ? Et si on prend en compte dans la décision d’autres paramètres que ceux rigoureusement calculables des coûts et des bénéfices monétaires, si on prend en compte aussi les externalités écologiques des Jeux, la question de la rentabilité des JO nous conduit aux questions les plus profondes de notre présent : celles de savoir comment on compte les coûts et les avantages de nos actions et de nos décisions dans un monde dont on ne peut plus oublier qu’il se déploie dans le tissu fragile d’une Terre sensible à ces actions. Ces questions seront les nôtres pour les temps qui restent. Si l’organisation des JO de Paris avait comme effet secondaire de nous inciter à y réfléchir, nous pourrions peut-être l’ajouter aux bénéfices des Jeux…