Dans la peau d’Emmanuel Macron

La dissolution de l’Assemblée Nationale, décidée par Emmanuel Macron, est-elle un bel acte de confiance démocratique, ou bien une sinistre manoeuvre tactique qui court-circuite le jeu démocratique? Un acte profondément anti-démocratique, répond le philosophe Patrice Maniglier, qui se livre ici à une étrange expérience: il écrit le discours qu’aurait dû prononcer Emmanuel Macron, s’il avait vraiment voulu procéder à une «clarification» démocratique. Une occasion pour réfléchir à la vérité et au mensonge politique.

Il n’est pas très agréable de se mettre dans la peau d’Emmanuel Macron, certes. En revanche, ça n’est pas très difficile. À moins que je ne sois affligé d’une sorte de tare particulière qui me fait deviner les raisonnements de ce personnage avec une lucidité exceptionnelle ? Car le fait est qu’au matin du lundi 10 juin, au lendemain donc de sa décision de dissoudre l’Assemblée Nationale, je faisais circuler sur Facebook un post où j’expliquais ce que je pensais comprendre de cette décision. Et je crois que les quelques jours qui ont suivi ont déjà permis de confirmer la petite analyse que je proposais alors, au-delà même de mes espérances, puisque je pariais sur la maturité des responsables politiques de gauche et écologistes à conclure rapidement une union de combat – j’ai été exaucé sur ce point au-delà mes vœux.

Je citerai ce post in extenso plus loin, non pas pour mettre en valeur ma prescience, mais afin qu’on ne se trompe pas sur le sens de l’exercice auquel je vais me livrer par la suite. Car je voudrais ici revenir sur le point qui m’importait au fond : à savoir qu’Emmanuel Macron présentait comme un acte vertueux ce qui était au contraire le comble du vice au regard même des valeurs qu’il défendait. Il présentait en effet sa décision comme un geste de confiance en la capacité du processus électoral en démocratie, aussi imparfait soit-il, à permettre une « clarification » des forces politiques réellement en mesure de proposer quelque chose à la collectivité citoyenne. Or je crois qu’il faisait tout l’inverse : il convoquait des élections précisément pour court-circuiter l’épreuve démocratique, pour la vider de son sens, comme il l’a toujours fait. Cela m’enrageait particulièrement, car j’ai la conviction que c’est précisément cette perte du peu de sens que peut avoir la parole politique en « démocratie représentative de masse sous contrainte oligarchique » (comme je crois qu’on peut appeler nos régimes), qui est une des causes principales de l’explosion de l’extrême droite.

Mais un petit paradoxe m’a interpelé. D’un côté, je voyais bien les arguments qu’il y avait en faveur d’une présentation de ce geste comme un bel acte de confiance démocratique ; je voyais que cela aurait été possible (et c’est précisément sur ce possible que joue Emmanuel Macron). D’un autre côté je n’avais aucun doute sur le fait que ça n’était pas le cas : qu’il faisait même tout l’inverse de ce qu’il disait. Je me suis alors demandé ce qu’il aurait fallu qu’il fasse ou qu’il dise pour que ce soit le cas, pour qu’il s’agisse d’un authentique acte de confiance démocratique. Comment un Président de la République dans la position d’Emmanuel Macron, mais véritablement convaincu de la vertu du processus électoral pour ajouter de la compréhension au monde, aurait-il dû s’y prendre pour réaliser ce geste ? Si Macron était plutôt de Gaulle que Hollande (désolé pour les connotations nationales de cette belle antithèse), qu’aurait-il dû dire et faire ? Certes, sur le fond, la réponse est facile : il n’aurait pas précipité ces élections en les convoquant en 3 semaines (le délai le plus bref que lui autorise la Constitution), il aurait donné le temps, aux forces politiques dont la situation présente en France est capable, de s’organiser pour voir si, sur le fond, elles ont effectivement quelque chose de cohérent à proposer à la communauté citoyenne, qui jugera alors de celle qui a la préférence majoritaire.

Cependant je me suis aussi rendu compte que cela rejoignait un certain nombre de réflexions qui m’occupent depuis longtemps sur la nature de la parole politique et du sens exact du mot « vérité » dans ce domaine (problème sur lequel Bruno Latour avait jadis essayé de formuler un certain nombre de choses, qui n’ont pas été très bien comprises, me semble-t-ilJe fais allusion ici au passage sur le mode d’existence politique, au chapitre 12 de l’Enquête sur les modes d’existence (Paris, La Découverte, 2012). J’ajoute d’ailleurs que si je partage totalement le problème posé par Latour, je ne suis pas sûr d’être totalement convaincu par sa théorie du « Cercle » pour saisir le mode de fonctionnement de la vérité en politique. Mais cela importe bien peu ici.).

C’est pourquoi j’ai rédigé le discours qu’Emmanuel Macron aurait pu prononcer au soir du 9 juin 2024, s’il avait été non pas l’effroyable opportuniste qu’il est de fait, mais un authentique militant de la forme démocratique-représentative comme il prétend l’être. Je me suis dit que c’était la meilleure manière (et la plus amusante) de faire apparaître le contraste entre parler-vrai (c’est-à-dire user de la parole afin de donner sa chance à la politique) et parler-faux (c’est-à-dire user de la parole – ainsi que de son pouvoir institutionnel d’ailleurs – pour détruire jusqu’à l’idée de politique). Et bien sûr une bonne manière de donner à chacune et à chacun des raisons de ne pas tomber dans le piège que nous tend ce sinistre personnage – ce qu’on ne peut faire qu’en votant pour le Nouveau Front Populaire.

1. Pourquoi Emmanuel Macron a dissout l’Assemblée Nationale

Mais commençons d’abord par ma petite analyse publiée sur Facebook le 10 juin, afin que ma propre position soit bien claire avant que je ne confonde ma voix avec celle dudit Emmanuel Macron.

Je constate que beaucoup de gens se grattent la tête pour comprendre le sens tactique de l’opération d’Emmanuel Macron et de sa décision totalement inattendue de dissoudre l’Assemblée Nationale. Une fois la surprise passée, je crains que ça ne mérite pas tant de connexions synaptiques. Cela est dans sa logique habituelle : instrumentaliser la peur de l’extrême-droite pour pouvoir acquérir un semblant de légitimité électorale afin de mener sa politique de réforme néolibérale (qui n’a pas d’originalité particulière). C’est la logique de quelqu’un qui, comme Hollande, ne réfléchit qu’en termes tactiques, et qui se croit très malin.

Il dissout en effet l’Assemblée au pire moment (en apparence) pour la gauche et en profitant de l’effroi que le score spectaculaire de l’extrême-droite suscite. Sachant donc qu’une bonne partie de l’électorat (notamment de gauche) ne veut pas de l’extrême-droite, et convaincu que la gauche ne pourra pas s’unir (de manière convaincante) dans un temps si bref, il espère donc de nouveau rafler la mise. De plus, il poursuit sa tentative pour siphonner les élus à droite et à gauche : un certain nombre de parlementaires LR auront peur de perdre leur siège et donc feront sécession (après avoir divisé la gauche, il divise donc la droite), et certains parlementaires PS qui hésitent depuis longtemps à trahir, mais n’ont pas encore osé le faire, le feront cette fois (au prétexte qu’on ne va pas s’allier à des antisémites, à des grossiers, etc. etc.). Je pense qu’il croit sincèrement qu’il va élargir sa majorité par ce coup trop-malin-vraiment-trop-malin. Et son entourage de murmurer au génie la bouche bée d’admiration…

Si sa propre majorité ne ressort pas élargie, il peut espérer faire un accord de gouvernement avec ce qu’il restera de la droite LR, car il est vraisemblable que l’extrême-droite ne réussisse pas à avoir la majorité absolue, de sorte que les LR n’auront plus que ce choix : soit de s’allier avec l’extrême-droite, soit de s’allier avec Renaissance, soit de bloquer le fonctionnement institutionnel (au risque de continuer à tout perdre, car son électorat est pro-Macron ou pro-Le Pen).

Et enfin, au cas où même cela ne marcherait pas, il n’est pas si inquiet : l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir par voie parlementaire lui permettra (croit-il) de montrer qu’elle est inapte à gouverner, et donc permettra aux intérêts qu’il représente de reprendre la main lors des prochaines échéances présidentielles (qui pourraient d’ailleurs être rapprochées à sa guise). Il se posera quant à lui en garant des institutions et d’une certaine idée de la France, et il pourra enfin jouer le rôle de « rempart de l’extrême droite » (ce qui était sa mission principale, qu’il a volée au profit de son autre mission : supprimer les dernières résistances que la France opposait aux logiques néolibérales). Il le fera en refusant de signer certains décrets pour des décisions législatives qu’il pourra faire passer pour particulièrement dérogatoires à « l’esprit républicain », en en laissant passer bien d’autres au nom du respect du choix démocratique des français. Il essaiera, comme l’avait fait jadis Mitterrand avec Chirac, au moyen de la signature des décrets, de montrer à quel point ces gens sont des zozos et à quel point lui incarne la République et la France, la vraie, l’éternelle, la seule.

Et puis il faut bien dire que les forces sociales qu’il sert dans l’exercice de ses fonctions n’ont pas grand-chose à craindre de l’extrême-droite. L’extrême-droite ne fera rien qui va contre le cœur non-négociable de son projet politique, à savoir la mise en œuvre de politique néo-libérale. Le cas de Giorgia Meloni en témoigne. Sur les questions sécuritaires, de migration, et même géopolitique, ils seront d’accord. Et cet accord lui permettra d’ailleurs (croit-il) de montrer que l’extrême droite est un faux opposant. Bien sûr, il ne semble pas très inquiet devant la possibilité que cette démonstration (si elle se réalise) aboutisse à faire émerger un parti d’extrême-droite encore plus radical (celui-ci est déjà prêt d’ailleurs), ni qu’elle puisse être retournée contre lui (« Voyez comme il ne nous laisse pas gouverner. Maintenant, donnez-vous vraiment le pouvoir. »). Jusqu’à présent, la vie lui a souri. Si elle finit par nous faire pleurer, c’est un risque à prendre.

Bref, tout cela est parfaitement dans la logique tactique de Macron, une logique à courte vue, toujours à courte vue, totalement indifférente aux grands intérêts de la société française et plus généralement du monde au sein duquel cette société française a un certain poids.

Le pire, sans doute, à mes yeux, dans cette manière de faire, c’est qu’elle se présente comme l’inverse de ce qu’elle est. Elle se présente en effet comme une manière de redonner à l’institution démocratique sa capacité à faire des choix collectifs. Or elle est l’inverse : elle est une manière d’empêcher cette « clarification » politique que certaines élections permettent dans une certaine mesure, puisqu’elle vole cette clarification en l’instrumentalisant à des fins purement tactiques. La conséquence est que les gens auront encore plus le sentiment d’être spoliés de la capacité démocratique qu’ils sont censés avoir. Et cela les rendra encore plus en colère. Et cela leur fera d’autant plus voter pour l’extrême-droite. Je me souviens de Macron prétendant redonner du sens à la parole politique. Il a fait tout l’inverse, systématiquement. Et la conséquence est l’explosion de l’extrême-droite.

Sauf, bien sûr, si la gauche réussit à s’unir et à court-circuiter le court-circuit. Cela est arrivé dans le passé, avec la « gauche plurielle », avec le « Front populaire » aussi dans un autre contexte ; cela peut arriver encore. Et je crois pour ma part que cela arrivera. Macron sous-estime la maturité politique à laquelle sont arrivés un grand nombre de responsables de gauche, mais aussi de consciences individuelles.

Moi je parie qu’il va se casser les dents. La gauche reviendra au pouvoir, dans la meilleure situation possible, c’est-à-dire dans une situation où aucune force n’est en position d’hégémonie, de sorte qu’un gouvernement bien conduit peut faire preuve d’une grande sensibilité aux besoins (variés, subtils) de la société qu’elle gouverne.

Donc on y va. On se mobilise. On va humilier le petit malin. Il se prend pour Napoléon, et n’a pas peur de finir en catastrophe ; mais il finira comme Hollande, en vendant ses scooters (sauf que ce seront des scooters des mers, nuance). Vive la plateforme populaire, sociale, écologique et démocratique à venir ! Vive la diagonale des gauches !

 

2. Le parler-vrai en politique (trigger-warning

On perçoit bien, j’imagine, qu’en écrivant ce texte, j’étais au fond animé par l’indignation que provoquait – et provoquera éternellement – en moi, la manipulation grossière à laquelle Emmanuel Macron s’est livré à l’occasion de cette dissolution. Mais il est toujours très difficile de dénoncer une personnalité politique pour ses « manipulations ». Après tout, la politique, ce n’est pas un concours de vertu, mais un art des rapports de pouvoir. De cela, je suis tout à fait convaincu, et non seulement je ne m’en indigne pas, mais je crois que ça n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire, incompatible avec l’idée qu’on produit là une certaine forme de vérité, qui a besoin d’être produite et qui ne pourrait pas l’être autrement. Je vois même de la grandeur et de la beauté à cette source originale et délicate de vérité que la parole politique explore douloureusement.

En effet, croire à ce qu’on dit, en politique, ou plus exactement parler vrai, n’implique pas forcément de dire des choses qu’on sait exactes, et encore moins qui correspondraient à la « réalité objective ». Car ce qu’est la « réalité objective », au sens de l’état réel de la situation collective dans laquelle nous nous trouvons en conflit, c’est précisément ce dont le débat politique doit décider. Il n’y a pas d’accord a priori. Seule l’épreuve politique peut trancher. Et encore, toujours provisoirement, et toujours relativement. Cela peut paraître désespérant. Mais il faut voir aussi la beauté de la chose : rien qui vienne de l’extérieur trancher, la responsabilité du vrai et du faux est entièrement entre nos mains. Pour ma part, j’appelle cela d’un nom qui sonne beau à mes oreilles : immanence.

Mais cela ne veut pas dire que toute parole politique soit forcément mensongère. Toute parole politique est rhétorique, certes, mais il y a de la bonne et de la mauvaise rhétorique. Il y a une rhétorique qui fait ce qu’est censée faire la parole politique, à savoir : permettre à la diversité des perceptions des enjeux communs de s’expliciter et, éventuellement, de se reconfigurer, en vue de faire émerger une orientation au moins majoritaire, voire consensuelle ; et une rhétorique qui au contraire empêche cette clarification. Emmanuel Macron a prétendu organiser ces élections législatives afin de précipiter une « clarification » de la situation politique. Mais je ne crois pas une seconde qu’il cherche le moins du monde une clarification. Je crois qu’il cherche simplement à l’emporter sur ses adversaires de la manière la plus efficace et la plus économique, sans avoir, précisément, à passer par l’étape de la discussion publique, c’est-à-dire de l’épreuve politique.

On peut discuter des vertus de la « disruption ». Mais ce que fait ici Emmanuel Macron, ce n’est pas de la « disruption » ; c’est simplement du Blitzkrieg. Je ne suis pas sûr qu’on gagne quoi que ce soit à confondre les manières de faire d’Adolf Hitler avec celle de Steve Jobs.

Des exemples étant toujours plus convaincants que des commentaires, j’ai donc décidé de rédiger moi-même le discours qu’aurait dû prononcer Emmanuel Macron, s’il avait vraiment voulu faire ce qu’il prétend vouloir. Bien sûr, je devais le faire sans renoncer à la position qui est la sienne, et donc en défendant les orientations politiques qu’il représente. Car le mensonge d’Emmanuel Macron consiste précisément à faire croire qu’il incarne certaines valeurs politiques, qu’il n’incarne, dans la réalité, pas du tout. L’exercice m’imposait donc de parler comme Macron. Il aurait été trop facile de changer le contenu de son discours politique sur le fond. Car je crois que l’affaire est ici essentiellement une question de forme. Bien sûr, maintenir les formes exige souvent d’exclure certains contenus et d’en introduire d’autres. Si je veux être poli, je ne peux pas tout dire, et surtout tout dire à n’importe quel moment. Je peux même dire des choses que je ne pense pas tout à fait, pas littéralement. Inversement, la forme n’est pas un simple enrobage ; elle constitue en elle-même un contenu, puisqu’elle va déterminer la capacité des contenus à se faire valoir, à faire valoir, si je puis dire, leur valeur, à l’épreuve de la confrontation avec d’autres contenus, d’autres discours, d’autres propositions pour le champ public.

Mon Emmanuel Macron dit donc ici des choses que je crois personnellement fausses. Par exemple il prétend, vous le verrez, que sa politique migratoire est « humaniste », ce qui me semble une manière biaisée, pour dire le moins, de présenter les choses. Mais il le fait cependant en donnant les moyens à l’opinion publique organisée et éclairée par le débat ouvert et la liberté d’expression, de décider si ce qu’il dit est vrai ou faux. Et c’est cela qui rend son discours sinon vrai du moins véridique, plus véridique en tout cas que celui que le vrai Emmanuel Macron a prononcé – discours où tout est faux, car faussé.

De même, il présente comme une hypothèse inconsistante l’union de la gauche (qu’il n’anticipe pas d’ailleurs, car, comme je le pressentais dans mon petit post du lundi matin, le vrai Emmanuel Macron sous-estimait la maturité des leaders politiques de gauche et leur capacité à s’unir – et de ce point de vue mon-Macron n’est pas plus perspicace), mais il ne fait pas ce que fait le vrai Emmanuel Macron : il ne traite pas les Insoumis d’antisémites et il n’accuse pas les leaders et consciences de gauche de s’unir à des antisémites. Mon Macron à moi pense que cette union est sur le fond inconsistante, et, ma foi, il a bien le droit de le penser. S’il symétrise le Rassemblement National et l’union de la gauche, ce n’est pas pour les exclure également du « champ républicain » (ce contenu-là ne saurait faire partie du « parler-vrai » politique), mais parce qu’il pense qu’elles partagent une même sorte d’irresponsabilité politique.

Je ne suis pas en train de dire que tous les contenus sont susceptibles de faire l’objet d’un parler-vrai. Au contraire, je crois qu’il faut être attentif aux contenus politiques aussi sous ce rapport : certains risquent de nous entraîner vers le parler-faux, et il faut s’en méfier comme de la peste – ils sont d’ailleurs la peste de la pratique politique.

J’ai la profonde conviction que la manière dont la grande majorité des élites politiques actuelles (en France assurément, mais probablement ailleurs aussi) a tourné le dos à l’art politique, a même perdu le sens de la nature de la politique, pour se contenter de se comporter comme des prédateurs, qui se jettent sur des réserves de voix pour fabriquer un semblant de légitimité leur permettant de s’emparer des énormes puissances accumulées dans les appareils d’État, au service de leurs intérêts personnels alignés sur les intérêts sociaux les plus puissants du moment, que cette « trahison des élites », donc, est la grande responsable de la montée de l’extrême droite. C’est à mon avis parce que Macron a exercé cet art confusionniste à la plus haute puissance, c’est-à-dire en se présentant comme celui qui précisément allait mettre un terme à cette confusion, alors même qu’il la pratiquait plus que personne avant lui, c’est pour cette raison, je crois, que sous son mandat l’extrême droite a explosé comme jamais auparavant.

C’est assez curieux à dire, mais je crois que l’ampleur du vote d’extrême droite est le signe d’une intense revendication démocratique.

D’où l’importance qu’il y a à reconstruire de l’autre côté, à gauche, le sens de la parole politique, et la certitude, dans les esprits, qu’il y a bien une relation entre parole et acte dans ce domaine qu’on appelle la politique. Cela ne veut pas dire cependant qu’on fait tout ce qu’on dit, notamment qu’on met en œuvre son programme à la lettre. Cela veut dire qu’on fait sentir qu’on est attentif à la question démocratique, c’est-à-dire aux équilibres qui permettent de trouver des solutions négociées à la diversité irréductible, éternelle, des perceptions des enjeux et des réalités communes sans laquelle la politique n’aurait aucun sens. Il s’agit ici simplement de faire confiance à l’épreuve démocratique. On pourrait se dire que c’est bien là une valeur de gauche, et, étant de gauche moi-même (inutile de vous le cacher), j’aimerais le croire. On aurait pour cela de bonnes raisons, puisque la droite se définit pour une part par la défense des intérêts sociaux déjà dominants, alors que la gauche viserait plutôt à rééquilibrer les rapports de forces en faveur des intérêts sociaux les plus faibles. Cependant, outre que cette définition est discutable, je ne suis pas sûr que le sens de la vérité politique soit plus à gauche qu’à droite. De grandes figures politiques de droite, comme Charles de Gaulle, ont su faire preuve d’une grande maîtrise de l’art politique authentique (ce qui n’excluait pas de mentir, notamment quand le mensonge était la seule manière d’éviter la guerre civile et de maintenir la procédure d’examen des conflits démocratiques : je pense au fameux « Je vous ai compris ! » adressé aux pieds-noirs d’Algérie), alors que la gauche a pu pratiquer le mensonge politique à des niveaux qui n’ont probablement aucun équivalent dans l’histoire (je pense ici, bien sûr, au stalinisme, qui reste tout de même un phénomène énigmatique, dont toutes les leçons n’ont sans doute pas été tirées). Tout cela pour dire donc que la différence que je cherche à saisir entre anti-politique et politique, parler-faux et parler-vrai, n’est pas sans rapport avec les contenus, mais ne saurait être totalement confondue avec eux.

Quoi qu’il en soit, la différence entre opportunisme de la pire espèce (dont Macron donne l’exemple), et rhétorique politique assumée (dont j’espère avoir donné l’exemple dans le discours ci-dessous), est subtile. Mais elle est vitale.

Voici donc ce qu’aurait pu dire Emmanuel Macron s’il avait vraiment voulu rouvrir le débat démocratique (comme il le prétend) au lieu de chercher à le court-circuiter, comme il l’a fait.

3. Ce qu’aurait dit Emmanuel Macron s’il avait été un authentique homme d’État

 

Allocution du Président de la République Emmanuel Macron

Il est 22h30. Le président de la République a annoncé depuis 20h30 qu’il allait s’exprimer à cette heure précise. Tous les médias sont là. Il commence son discours.

Françaises, français, mes chers compatriotes,

J’ai attendu cette heure un peu tardive pour m’adresser à vous, afin d’être certain d’avoir une image correcte des résultats de cette journée électorale. Ceux-ci sont désormais sans ambiguïté. Il apparaît que la liste du Rassemblement National arrive très largement en tête des suffrages exprimés. Plus du tiers des personnes qui représenteront la France au Parlement européen seront donc des membres du Rassemblement National. La liste qui incarne l’orientation que je défends, personnellement, pour notre pays, en Europe, a recueilli deux fois moins de vos suffrages.

Ce résultat exprime votre décision. Je la respecte. Cependant je ne peux pas faire comme si cela ne constituait pas à mes yeux un événement d’une extrême gravité. Certes, la France n’est pas le seul pays où des formations d’extrême droite, anti-européennes, populistes ou xénophobes, progressent de manière spectaculaire. Mais cela ne saurait être pour moi un motif de consolation, ni d’apaisement.

D’abord parce que je suis bien placé pour savoir que la France n’est pas n’importe quel pays. Sa voix en Europe a une signification particulière. Son histoire l’oblige. Nous venons de commémorer avec le monde entier le Débarquement en Normandie qui a mis fin à des années d’Occupation et de compromission dans notre pays et à la barbarie qui s’était emparée de notre continent. Nous sommes parmi les pays fondateurs de l’Union Européenne et nous avons toujours été, avec nos partenaires allemands, le moteur de cette grande aventure.

Mais j’ai aussi une raison plus personnelle de ne pas minimiser le sens de ces résultats. Si je suis devant vous ce soir en ma qualité de Président de la République, c’est que j’ai mis tout le sens de mon combat dans l’ambition de réconcilier les Français. Je suis entré en politique pour réparer un pays déchiré. Déchiré par trop de confusions, de reniements, de paroles non tenues. J’ai présenté un programme ; vous lui avez accordé votre confiance ; je m’y suis tenu. J’ai cru qu’en bousculant les habitudes, en libérant les énergies productives, en montrant qu’on pouvait s’ouvrir en confiance sur le monde, à condition de se donner les moyens de se battre à égalité avec les autres, et en étant fiers de ce que nous sommes et de nos traditions, je réussirais à vous montrer que vous n’aviez pas de raison d’avoir peur de l’avenir, que nous avions plus de ressources que certains prophètes de malheur ne cessent de vous le dire, que nous étions toujours ce grand peuple qui pouvait contribuer positivement à l’avenir de notre monde, qui a tant besoin d’une France forte et généreuse, de la France des Lumières et de la République, de Pasteur et de de Gaulle, de l’innovation et du courage.

Je crois sincèrement que ce cap était le bon. Nous en voyons déjà les résultats. Le chômage, cette plaie qui a accablé tant d’entre vous, s’est effondré. Notre système de sécurité social est consolidé. Jamais nous n’avons déposé autant de brevets. La France est devenue le pays au monde qui attire le plus de capitaux étrangers – et ne croyez pas ce qui vous disent que cet argent ne va que dans la poche des ultra-riches. C’est absolument faux. Il nous permet de redonner du travail à celles et ceux qui avaient perdu le leur, de maintenir dans l’emploi celles et ceux qui sont dans des emplois industriels fragilisés par trop d’années d’indifférence, de renforcer notre système de protection sociale, qui a certes besoin d’évoluer avec les nouvelles données de notre démographie, de nos techniques médicales, de l’environnement économique international, mais qui doit rester le socle de notre contrat social. Je suis convaincu que le redressement de notre pays est en cours et qu’on verra toujours plus clairement dans l’avenir les résultats bénéfiques de ces choix que nous avons faits lors de ces sept dernières années.

De même, j’entends ces bonnes âmes qui nous disent que nous devrions ouvrir plus généreusement nos frontières, renoncer ici ou là à l’ordre public, abandonner nos armées au sous-financement chronique qui était le seul, ces bonnes âmes qui ont l’impression que nous trahissons les valeurs d’humanisme que nous défendons si on ne fait pas ce qu’elles elles estiment bon. Comme si on faisait preuve de plus de générosité et de cœur en se livrant impuissants aux grands vents du monde ! Je suis convaincu que ces personnes, que je crois souvent sincères, se trompent lourdement. Il y a une angoisse légitime dans notre pays sur la place de l’identité française, de ses traditions, de son histoire, dans le monde ouvert qui est le nôtre. Il faut y répondre par autre chose que des bons sentiments. C’est pourquoi j’assume totalement la politique de contrôle des frontières, ferme mais humaniste, que nous avons mise en place. J’assume la défense intransigeante de l’ordre républicain qui a été la mienne tout au long de mes deux mandats. J’assume enfin de vouloir redonner à l’armée française, en solidarité avec le réarmement de l’Europe entière, une capacité de défense et de projection qui nous permette de ne pas subir les mauvais coups de nos ennemis. Car nous sommes dans un monde dangereux, où tout le monde n’est pas bien-intentionné, et il faut savoir se défendre.

Je crois donc qu’on peut être d’autant plus ouvert au monde qu’on est plus sûr de soi et j’ai mis toute mon énergie à défendre cette ligne pour notre pays. Je veux vous rendre de nouveau fiers de vous, car je crois que vous pouvez légitimement l’être. J’ai eu la conviction qu’en redonnant du poids et de la crédibilité à la parole politique, en annonçant un programme et en s’y tenant, je pouvais réconcilier toutes celles et ceux qui parmi vous ne croyaient plus en nos institutions.

Mais je suis bien obligé de reconnaître que j’ai échoué à vous en convaincre. Je comprends que cette méthode que j’ai adoptée depuis que vous m’avez accordé votre confiance, cette méthode plus franche, plus résolue, qui ne se satisfait pas des demi-mesures auxquelles on vous avait habituées pendant tant de décennies, qui ne remet pas au lendemain ce qu’il faut faire maintenant, je comprends que tout cela ait été perçu par beaucoup d’entre vous comme de l’arrogance et de l’insensibilité.

Je comprends aussi qu’en ces temps angoissants, les efforts que je vous ai demandés, le renoncement à certaines facilités et à certains conforts illusoires que j’ai dû exiger de vous, je comprends que tout cela vous ait donné le sentiment que j’étais sourd aux souffrances des Françaises et des Français. Je veux cependant vous alerter contre les calomnies. Non, je ne vis pas dans une tour d’ivoire, entouré d’or et de soie. Non je n’ignore pas les difficultés que beaucoup d’entre vous ont au quotidien. Je vois tous les jours des travailleuses et des travailleurs précaires, modestes, acharnés à bien faire et mal récompensés de leurs efforts. Cela fait partie de ma fiche de poste, autant que de mon plaisir personnel, que de les rencontrer, comme je rencontre des chefs d’État ou des capitaines d’industrie qui manipulent des milliards. Et non, je ne mens pas quand je dis que c’est leur visage, le visage des gens qui ont du mérite mais pas assez de reconnaissance, que j’ai sans cesse à l’esprit dans mon action. C’est en vue du bien commun que j’agis, et pour aucun autre motif, quoi qu’on vous raconte. Que j’aie raison ou que j’aie tort dans l’idée que je me fais de notre intérêt commun, c’est à vous d’en décider. Mais je ne veux pas que vous doutiez de la sincérité de mon engagement.

Il se trouve seulement que je ne crois pas en une société qui se protège dans le présent sans se projeter dans l’avenir. Je ne crois pas qu’on puisse vivre sur ses acquis et dans la nostalgie d’une splendeur passée, d’ailleurs en général mythifiée à dessein. Je crois qu’une société qui n’avance pas dépérit. Un gouvernement qui replierait la France sur elle-même ne vous protègerait pas. Il vous appauvrirait, vous rendrait plus vulnérable aux menaces extérieures, y compris militaires, vous rendrait plus dépendants de produits que nous ne serions plus capables de fabriquer par nous-mêmes. Je ne veux pas d’une France qui connaisse le destin de l’Argentine. Ce pays était la 9ème économie du monde en 1945. À force de croire qu’on pouvait se contenter de redistribuer de l’argent sans en produire, elle est aujourd’hui en faillite. C’est pour éviter cela que je me suis battu et que je continuerai à me battre.

Mais je ne veux pas continuer à le faire dans cette ambiance où règnent les rumeurs, les petits calculs politiciens, les postures verbales qui n’engagent à rien, l’instrumentalisation systématique des frustrations, des souffrances et des incompréhensions par des gens qui ne sont pas inspirés par l’intérêt supérieur de la nation. La France mérite mieux que cette droite de notables, incapable de construire avec nous une majorité stable pour faire passer les politiques qu’elle a pourtant défendues pendant sa campagne, et cela pour ne pas nuire à des petits intérêts personnels souvent très locaux. La France mérite mieux que cette gauche de grandes gueules ou de grands sentiments, qui veut faire croire qu’elle est majoritaire alors qu’elle est elle-même divisée sur les questions les plus importantes de notre temps, notamment sur les questions économiques et géopolitiques. C’est dans l’ombre de leur propre inaction que ces gens prospèrent et entretiennent la confusion dans notre pays. Ils vous font croire qu’ils ont quelque chose de cohérent à proposer pour notre pays, mais ils n’arrivent même pas vraiment à s’en convaincre les uns les autres. Tout cela crée une ambiance délétère, qui finit par faire perdre le sens de la démocratie. Cela ne peut pas durer et je crois que le résultat de ces élections en est la preuve flagrante.

Je veux que la France s’élève à la hauteur de son histoire. Car ne vous y trompez pas, mes chers compatriotes : nous sommes à un moment décisif de notre histoire. Le consensus sur l’ordre économique mondial s’est effrité avec le retour du protectionnisme dans le cadre de la rivalité des États-Unis et de la Chine et de la montée d’autres grandes puissances régionales. L’ordre international issu de la chute du Mur de Berlin est remis en cause par des puissances qui comme la Russie ont décidé de recourir à la guerre pour modifier les frontières à leurs convenances. Les progrès de l’Intelligence Artificielle posent des questions majeures sur la répartition des gains de productivité qu’elle générera et la maîtrise des pouvoirs qu’elle permettra d’obtenir. La prise de conscience des effets écologiques dévastateurs du mode de production que nous avions réussi à mettre en place et qui nous avait apporté confort et bien-être, notamment le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, nous oblige à des transformations profondes, qui réclament cohésion, sérieux et confiance. L’Europe enfin, cette Europe en dehors de laquelle nous n’avons pas d’avenir, en dehors de laquelle nous n’avons jamais eu d’existence, l’Europe doit s’unir rapidement pour faire face à tous ces défis qui ne sont pas seulement ceux de la France, mais du monde entier. La France doit jouer, dans ce moment crucial, un rôle à la hauteur de son histoire. Je ne peux pas l’abandonner à ce déluge de fausses promesses, de fausses informations, de confusions. Il est important que nous ayons un moment de clarification.

C’est pourquoi j’ai décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale et de convoquer de nouvelles élections, afin que vous puissiez décider en conscience ce que vous souhaitez pour le destin de notre pays dans les années qui viennent. Je crois en la capacité du système démocratique qui est le nôtre à dégager les véritables aspirations de notre nation pour son propre avenir. Je crois en la sagesse du peuple français qui jamais, au moment du danger, n’a tourné le dos à ses responsabilités. Vous avez le pouvoir de décider ce que nous allons faire collectivement. Contrairement à ceux qui vous disent que votre destin vous est sans cesse volé par je ne sais quelle puissance obscure, je veux que vous sachiez que c’est à vous de décider de votre destin. Si je vous parle aujourd’hui de la position qui est la mienne, en tant que Président de la République, je le fais comme délégué de votre volonté, de cette volonté collective qui a dégagé une majorité à l’issue des débats que nous avons lors des deux précédentes élections présidentielles.

Je constate qu’il n’y a pas aujourd’hui de mandat clair pour un gouvernement qui agirait dans la direction que je considère la bonne pour notre pays. C’est pourquoi je m’en remets de nouveau à vos délibérations, et à votre verdict, pour savoir quoi faire dans ce temps si bref qu’il nous reste pour prendre les bonnes décisions pour notre pays.

Je le fais en ce lendemain des élections européennes afin que vous sachiez que toutes les élections comptent, que jamais votre voix ne se perd. Trop souvent les élections européennes sont une sorte de défouloir pour des forces politiques qui ne peuvent pas et sans doute ne veulent pas gouverner, mais qui veulent seulement prospérer sur les inévitables difficultés de l’histoire. En prenant la décision de dissoudre l’Assemblée Nationale en conséquence d’élections européennes, je veux aussi vous convaincre que vos choix en matière européenne sont des choix pour la France, qui nous engagent, et que je les prends très au sérieux.

Il est temps de savoir ce que vous voulez. Voulez-vous vraiment d’une France qui se recroqueville sur elle-même et fasse l’escargot devant l’histoire, tantôt en se réfugiant derrière des slogans superficiels qui promettent l’argent facile et les smartphones sans travail, tantôt en accusant les étrangers d’être responsables de toutes nos difficultés, alors que ces étrangers apportent aussi beaucoup à la France ? Ou bien voulez d’une France courageuse, qui sait faire face à ses responsabilités et se mettre en ordre pour proposer au monde un avenir moins sombre que celui dans lequel il semble engager ? Voilà la question qui vous sera posée. Et je ne doute pas que vous saurez y répondre de manière réfléchie et sereine.

Mes chers compatriotes, nous n’organiserons pas ces élections dans la précipitation. Si le débat électoral qui a précédé ces échéances européennes a été l’occasion d’une grande confusion, je veux que celui qui vient soit au contraire l’occasion d’une grande clarification. C’est pourquoi j’ai décidé de donner au débat politique le temps de s’organiser. Je dissoudrai donc l’Assemblée Nationale après les Jeux Olympiques, et plus précisément vers la fin du mois de juillet, après les consultations prévues à l’article 12 de Constitution, afin que de nouvelles élections soient convoquées dans le courant du mois de septembre, très précisément le 8 septembre pour le 1er tour et le 29 septembre pour le second. Cela donnera aux différentes formations politiques le temps pour réfléchir à ce qu’elles sont capables de proposer aux Françaises et aux Français. Cela donnera aussi l’occasion à celles et ceux parmi vous qui n’ont pas pensé à s’inscrire sur les listes électorales, parce que vous ne pensiez pas avoir à rencontrer des échéances aussi importantes dans l’immédiat, de le faire, et de participer ainsi à la décision démocratique. Cela donnera enfin au débat public le temps de s’organiser et de se développer, afin que vous ayez les moyens d’y voir clair. J’ai confiance en la valeur de mon projet. Je veux que de votre côté, chacune et chacun, vous ayez conscience du caractère solennel de l’échéance qui nous attend. Mais je dois aussi vous avertir. La Constitution m’interdit de dissoudre plus d’une fois par an l’Assemblée Nationale. Il importe donc de se décider. Sinon, nous nous retrouverons avec un système institutionnel bloqué.

Entre temps, le gouvernement actuel se chargera de gérer les affaires courantes. Je sais que je peux faire confiance en votre maturité, et que ces échéances ne nous empêcheront pas de présenter au monde, à l’occasion des Jeux Olympiques, l’image d’un peuple uni et serein dans la perspective de ce moment de grande explication collective qui nous attend. Je sais que la France ressortira grandie de cette nouvelle épreuve. Nous montrerons qu’en France les mots « démocratie », « République », « débat public » ont un sens. Je ne doute pas qu’en faisant preuve de ce courage démocratique, nous ne donnions une nouvelle fois au monde un exemple du prix de la liberté.

Mes chers compatriotes, les mois qui viennent seront l’occasion d’un débat décisif. Je souhaite qu’il se fasse dans un esprit d’apaisement et de confiance. Des projets de société totalement divergents vont s’opposer en se proposant à vos suffrages. Mais cela ne justifie ni la discorde, ni l’invective ni le désordre – bien au contraire. Ne vous laissez pas voler votre réflexion. Examinez, informez-vous, échangez. Je veillerai pour ma part à ce qu’aucune puissance étrangère ne profite de ce moment pour déstabiliser notre démocratie, comme cela a été tenté dans le passé. Ne perdez pas de vue qu’à terme, nous devrons nous retrouver, et que, quoi que la majorité d’entre vous décide, pour autant bien sûr que cela reste dans le cadre de notre Constitution, nous devrons, toutes et tous, nous engager loyalement à respecter la décision démocratique. Je serai garant, dans la fonction que j’occupe au sein des institutions de la Ve République, et que je n’ai aucune intention de quitter, quelle que soit l’issue des élections législatives, du respect de votre décision, ainsi que du respect des principes fondamentaux de notre Constitution. Je n’ai aucun doute sur la capacité du système institutionnel que nous a légué le Général de Gaulle à nous faire sortir de cette épreuve non seulement plus forts, plus unis, plus apaisés, mais aussi plus décidés et plus résolus.

Vive la République ! Vive la France !

Voilà. J’espère que ce discours ne vous a pas donné envie de voter pour (les formations politiques qui sont à la botte d’) Emmanuel Macron. J’espère non seulement que vous ne partagez pas l’interprétation de la situation politique et les orientations de fond défendues dans ce texte, mais surtout que vous avez bien vu dans ce discours tout ce qu’il n’a pas dit dans la réalité, qui constitue autant de raisons non seulement de ne pas voter pour les candidats du « camp présidentiel », mais aussi de tout mettre en œuvre pour faire échouer l’opération scandaleuse à laquelle le Président de la République s’est livré avec cette dissolution, du fait du timing qu’il lui impose, mais aussi du fait du discours dont il l’entoure, et notamment de cette symétrisation indigne de la gauche et de l’extrême-droite. Macron ne fait pas seulement une mauvaise politique. Il détruit la possibilité de la politique.

Il faut sanctionner Emmanuel Macron, durement. Et cela passe, quoi qu’on dise, par un vote sans ambiguïté au premier tour pour les candidats qui auront été investis par le « Nouveau Front Populaire ». Cela seul constituera une sanction. Pas question d’attendre le deuxième tour. Mais c’est une autre question. Nous en reparlerons peut-être. Pour l’instant, qu’il nous suffise de retenir ceci : si vous croyez en la vertu des procédures électorales du genre de celles qui structurent notre régime démocratique, vous devez faire échec à l’opération d’Emmanuel Macron.