La Covid-19 exposée comme pandémie et comme zoonose

L’épisode de la Covid fut un événement politique majeur. Mais sa signification reste énigmatique: annonce-t-elle un nouveau totalitarisme? faut-il l’interpréter comme la revanche de la nature contre une civilisation qui la maltraite? est-elle un simple épiphénomène dans la gestion «biopolitique» des populations? L’anthropologue et philosophe Frédéric Keck aborde ces questions dans un livre majeur, Politique des zoonoses, qui sort ces jours-ci à La Découverte. Nous publions ici, en bonnes feuilles, «l’ouverture» de son ouvrage. Il y imagine une exposition à venir résumant pour une société future cet événement énigmatique. Huit vitrines venues du futur pour nous rappeler à ce passé encore brûlant, et un présent fait de liens avec des objets techniques et des animaux.

Ce texte est extrait de Frédéric Keck, Politique des zoonoses, Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, coll. «L’horizon des possibles», Paris, La Découverte, 2024.

Si une anthropologue du futur devait résumer, dans une exposition dont elle serait curatrice, comment l’humanité a vécu la Covid-19, à la façon dont les anthropologues du passé ont présenté les sociétés lointaines aux publics européens dans des musées, elle pourrait choisir quatre objets et quatre espèces animales, qui représenteraient « la culture matérielle » et « l’ethno-zoologie » de l’humanité aujourd’hui. Ces objets et ces animaux ont en effet peuplé l’imaginaire des sociétés contemporaines au cours de cette pandémie, selon des modalités qui restent à analyser et à comprendre. La pandémie de Covid-19 a conduit les humains à diffuser de façon globale des objets apparus en des lieux différents au cours des deux siècles passés, en les standardisant selon des normes internationales et en les mêlant à des techniques plus traditionnelles de contrôle des épidémies. Mais la Covid-19 est aussi une zoonose, c’est-à-dire une maladie qui se transmet entre différentes espèces animales, ce qui explique que le virus qui la causait était si imprévisible. Voici donc quatre objets et quatre animaux accompagnés d’informations qui pourraient guider pour le visiteur de cette exposition.

Objets

Le respirateur

La Covid-19 est une maladie respiratoire, qui infecte d’abord les poumons, avec des symptômes secondaires dans le système nerveux comme la perte de goût ou la fatigue, rassemblés sous le terme de « Covid long ». Les patients présentant des symptômes respiratoires graves, comme l’étouffement, ont été traités en priorité dans les services hospitaliers de soin intensif au moyen de respirateurs qui les ventilent artificiellement. Ces machines, impliquant des interventions lourdes sur les corps des patients, qui doivent être régulièrement retournés et peuvent être placés en coma artificiel, nécessitent une présence permanente du personnel infirmier à leurs côtés. Elles obligent ainsi à réorganiser l’espace des hôpitaux en temps d’urgence pour accueillir ces patients considérés comme prioritaires. Elles prennent le relais des « poumons d’acier » inventés à Boston en 1928 pour lutter contre la poliomyélite, en bénéficiant des progrès de la respiration artificielle dans l’aviation au cours du vingtième siècle. La production de respirateurs artificiels, rudimentaires ou de haute technologie, a ainsi été grandement accélérée par la pandémie de Covid-19Cf. Alejandro de la Garza, « The Surprisingly Long History of the Ventilator, the Machine You Never Want to Need », Time, 7 avril 2020..

Le masque

D’abord outil de protection du personnel hospitalier, le « masque chirurgical » s’est diffusé à l’ensemble de la population pour se protéger de la transmission de la Covid-19 en capturant les gouttelettes issues de la bouche et du nez. Essentiellement porté dans les transports et les lieux publics fermés, où il fut parfois imposé par les États à travers des sanctions, il a pu être porté jusque dans les espaces intimes, certaines personnes hésitant à retirer leur masque devant d’autres personnes par précaution ou par pudeur. Il a ainsi profondément redéfini ce qu’est une personne (le terme persona désigne le masque dans l’Antiquité latine) face à la menace d’une maladie respiratoire qui circule dans l’atmosphère partagée par les humains. Fabriqué industriellement en plastique ou de façon plus artisanale avec du tissu, il s’est ajouté à l’ensemble des déchets que produisent les sociétés contemporaines, posant ainsi la question de leur recyclage. Un archéologue du futur trouvera peut-être comme seule trace de cette pandémie l’augmentation de la couche de plastiques produits par les humains depuis le milieu du vingtième siècle. C’est en effet avec l’invention du masque chirurgical en plastique dans les années 1950 que ce morceau de tissu, introduit dans les hôpitaux en Europe à la fin du dix-neuvième siècle, imposé dans l’espace public après les travaux du médecin chinois Wu Liande sur la peste pneumonique en 1910 et à l’occasion de la grippe espagnole de 1918, se transforme en produit industriel, au point que la constitution de stocks de masques pour les hôpitaux devient un critère d’évaluation d’un État moderneCf. Bruno Strasser et Thomas Schlich, « A history of the medical mask and the rise of throwaway culture », Lancet 396 (10243), 2020, p. 19-20..  

Le vaccin

La Covid-19 est une maladie infectieuse causée par un virus, appelé SARS-Cov2. A défaut de traitement antiviral pour ceux qui étaient déjà infectés, malgré les espoirs portés par les défenseurs de l’hydroxychloroquine ou de l’artémisine, vacciner la population non-infectée a été la meilleure stratégie de santé publique pour enrayer la pandémie, car elle mettait fin aux politiques de « stop-and-go » alternant confinement et relâchement de la population. La rapidité de fabrication des vaccins par les laboratoires pharmaceutiques en Europe et en Amérique du Nord utilisant la technique récente de l’ARN messager a surpris tous les observateurs et relancé la défiance envers la vaccination, qui est une tendance lourde dans ces deux continents au cours des trente dernières années. La mise au point d’un vaccin inactivé par les industries pharmaceutiques en Russie et en Chine, moins efficaces que les vaccins à ARN messagers mais plus faciles à distribuer, et les appels à la solidarité internationale par l’Organisation Mondiale de la Santé dans le cadre de l’initiative Covax, faisant du vaccin un « bien commun de l’humanité », ont suscité l’espoir d’un partage avec les pays du Sud. La diffusion globale d’un vaccin anti-Covid laisse entrevoir un monde dans lequel le SARS-Cov2 serait éradiqué, mais il faudrait alors fabriquer régulièrement des doses de vaccin pour répondre aux mutations de ce virus. Le vaccin, produit pharmaceutique encadré par l’État et distribué aux citoyens dans le cadre de campagnes de masse, est ainsi devenu, deux-cents vingt ans après son invention par Edward Jenner et cent quarante ans après son extension par Louis Pasteur, un objet incontournable des politiques de santé publique contre les pandémiesCf. Anne-Marie Moulin, L’aventure de la vaccination, Paris, Fayard, 1993 ; Philippe Sansonetti, Tempête parfaite. Chronique d’une pandémie annoncée, Paris, Seuil, 2020 ; Anne-Marie Moulin et Gaëtan Thomas, « L’hésitation vaccinale, ou les impatiences de la santé mondiale », La vie des idées, 4 mai 2021.

Le téléphone portable

C’est le nouvel instrument de santé publique lié à la numérisation des sociétés contemporaines, alors que les trois autres objets sont utilisés pour lutter contre les maladies depuis au moins un siècle. À travers des applications contenant des codes-barres, il permet de récapituler les données sur un individu (son infection par le virus, ses différentes doses de vaccins) et de l’informer sur les individus potentiellement porteurs du virus dans son entourage. Cette application permet ainsi aux individus de décider de leurs déplacements de façon plus informée, mais aussi aux pouvoirs publics de contrôler ces déplacements. Version dématérialisée de la politique de traçage qui fut choisie par certains États pour limiter la pandémie en alternative aux confinements et aux vaccins, elle est indissociable de la matérialité plus rudimentaire du test, un coton-tige que les individus doivent introduire dans leurs orifices pour savoir s’ils sont porteurs du virus. Ces applications et ces tests ont trouvé une forme particulièrement développée dans le cadre de la politique zéro-Covid appliquée en Chine, renforçant les mesures de contrôle des déplacements des populations et de « crédit social » déjà mises en place avant la pandémie de Covid-19Cf. Séverine Arsène (dir.), « Façonner l’Internet chinois : Dispositifs politiques, institutionnels et technologiques dans la gouvernance de l’Internet », Perspectives chinoises, 2015, 4.

Animaux

La chauve-souris

On a retrouvé chez les rhinolophes au sud de la Chine et en Asie du Sud-Est des coronavirus très proches de ceux qui ont causé la Covid en 2019. Si on savait depuis les années 1950 que les chauves-souris pouvaient transmettre la rage par leur morsure, qui reste exceptionnelle pour certaines espèces dites « vampires » en Amérique du Sud, on a découvert dans les années 1990 qu’elles transmettaient également aux humains de nouveaux virus appelés Hendra et Nipah en Australie et en Asie du Sud-Est, à travers les chevaux, les porcs ou les fruits qu’elles avaient infectés. L’émergence du SARS-Cov1 en 2002 en Chine, causant l’épidémie de Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) fut expliquée avec certitude par la transmission d’un coronavirus – dont les formes bénignes étaient jusque-là étudiées par les vétérinaires chez les porcs – des chauves-souris du sud-ouest de la Chine vers les civettes consommées dans les grandes villes comme Canton. Que de nouveaux virus émergent ainsi chez les chauves-souris s’éclaire par au moins  deux phénomènes récents : la déforestation, qui oblige les chauves-souris à se déplacer vers des arbres plus proches des habitats humains, et les nouvelles pratiques d’élevage des chevaux et des porcs, qui les rapprochent des forêts et des grottes où se reproduisent les chauves-souris, multipliant ainsi les espèces intermédiaires entre les chauves-souris et les humains, et donc les occasions pour leurs virus de se transmettre à des espèces nouvelles. On a découvert en effet au cours des quarante dernières années que les chauves-souris hébergent un grand nombre de virus potentiellement dangereux pour les humains du fait de leurs caractéristiques singulières : elles constituent un quart des espèces de mammifères, elles vivent dans des colonies denses multi-spécifiques où elles échangent un grand nombre de virus franchissant en permanence les barrières d’espèces, et elles ont développé des défenses immunitaires qui leur permettent de résister au coût métabolique du vol, notamment un microbiote de taille restreinte et des mécanismes de réparation des chromosomes portant leur information génétiqueCf. Linfa Wang et Christopher Cowled, Bats and Viruses: A New Frontier of Emerging Infectious Diseases. New York, Wiley, 2015 ; Antoine Laugrand et Frédéric Laugrand, « La leçon anthropologique des chauves-souris. La crise du covid-19 vue à l’envers », La vie des idées, 7 avril 2020 ; Frédéric Keck et Arnaud Morvan, Chauves-souris. Rencontres aux frontières entre les espèces, Paris, CNRS Editions, 2021..

Le pangolin

L’identification des chauves-souris comme réservoirs de coronavirus laissait de côté la question de l’animal intermédiaire qui a transmis le SARS-Cov2 aux humains. En avril 2020, les autorités chinoises ont laissé entendre que le pangolin serait l’animal intermédiaire entre la chauve-souris et l’humain, après que des virus proches du SARS-Cov2 aient été trouvés par des chercheurs chinois sur des pangolins de Malaisie. Cette découverte tournait l’attention des autorités sanitaires et des médias vers le trafic international de pangolins, dont les écailles sont consommées dans la médecine chinoise traditionnelle comme remèdes contre les fièvres. L’Union internationale pour la conservation de la nature a interdit la vente de pangolin asiatique en 2000, ce qui a réorienté le trafic international de pangolin vers l’Afrique. Le pangolin est ainsi révélateur de la transformation d’une pratique de chasse traditionnelle vers une pratique de consommation de prestige organisée par un marché international, qui peut aller jusqu’à de nouvelles pratiques d’élevage de pangolins pour alimenter les nouvelles formes de la médecine traditionnelle. C’est donc parce qu’il est devenu une espèce emblématique de la conservation en Chine qu’il a pu apparaître ainsi sur la scène publique au début de la pandémie de CovidCf. Chris Coggins, The Tiger and the Pangolin: Nature, Culture, and Conservation in China. Honolulu, University of Hawai’i Press, 2003 ; Kong Xiao, et al. « Isolation of SARS-CoV-2-related coronavirus from Malayan pangolins », Nature, 5832020, p. 286-289 ; Mathieu Quet, « Le pangolin pris au piège de la marchandisation de la nature », La vie des idées, 28 avril 2020.

Le vison

Des élevages de visons ont été déclarés positifs au virus de SARS-Cov2 en Hollande en juin 2020 et au Danemark en novembre 2020, sans doute du fait d’une infection par les humains qui travaillaient dans ces élevages. Les autorités sanitaires redoutaient moins la mortalité des visons dans ces élevages, légèrement augmentée par la présence du SARS-Cov2, que l’apparition d’une mutation virale qui pourrait se transmettre aux humains et compromettre la campagne de vaccination. Le Danemark, premier pays producteur de visons d’élevage pour la fourrure au monde (avec 28% de la production mondiale, suivi par la Pologne et la Chine), ordonna l’abattage de 12 millions de visons par l’usage du gaz. La remontée de terre des cadavres en décomposition a contraint les éleveurs à les déterrer pour les incinérer, suscitant des images médiatiques qui firent le tour du monde. Le public européen a découvert en effet à cette occasion que les visons font l’objet d’un élevage industriel depuis les années 1850 en Amérique du Nord pour compenser la baisse de la production de fourrures de castors par les trappeurs, puis introduit à la fin du XIXe siècle en Europe du Nord, où l’alimentation à base de poisson fut remplacée par des composés protéiques. Le vison a été domestiqué plus récemment que le furet, qui appartient comme lui à la famille des mustélidés et qui était apprécié dans les cours de l’Europe médiévale pour sa sociabilité, son parfum (le musc) et sa capacité à détecter le gibier, ce qui en faisait à la fois un animal de compagnie et un animal de chasse. Plus récemment, l’élevage de furets s’est développé afin de fournir les laboratoires en modèles animaux pour étudier les maladies respiratoires comme la grippe, car le furet éternue comme les humains. Une espèce animale qui a longtemps été impliquée dans des pratiques de sociabilité liées à la chasse est ainsi transformée depuis un siècle en marchandise, mais la crise sanitaire en fait à nouveau un porteur de signaux d’alerte pour les humainsFrançoise Fenollar et al., « Mink, SARS-CoV-2, and the Human-Animal Interface », Frontiers of Microbiology 12, 2021, p. 663815 ; Alexander Etkind, « Barrels of fur: Natural resources and the state in the long history of Russia », Journal of Eurasian Studies, 2 (2), 2011, p. 164-171..  

Le cerf

Si les tests sur les chiens, les porcs, les volailles et les bovins ont tous été négatifs au SARS-Cov2, on a pu montrer que les chats répliquaient le virus mais pas en quantité suffisante pour causer une transmission aux humainsJianzhong Shi et al., « Susceptibility of ferrets, cats, dogs, and other domesticated animals to SARS–coronavirus 2 », Science 368 (6494), 2020, p. 1016-1020.. En janvier 2022, un foyer de Covid-19 a été découvert à Hong Kong chez des humains qui fréquentaient une animalerie où des hamsters syriens importés depuis les Pays-Bas : l’abattage de 2000 hamsters à Hong Kong mit fin à cette voie de transmission de la maladieSmriti Mallapaty, « How sneezing hamsters caused a Covid outbreak in Hong Kong », Nature, 4 février 2022 ; Hui-Ling Yen et al. « Transmission of SARS-CoV-2 delta variant (AY.127) from pet hamsters to humans, leading to onward human-to-human transmission: a case study », Lancet 12, 399(10329), mars 2022, p. 1070-1078.. En revanche, une circulation importante du SARS-Cov 2 a été découverte chez les cerfs aux États-Unis, avec des taux allant de 30 à 40% selon les États dans lesquels la population de cerfs a été testée. L’origine de cette transmission reste mystérieuse, que ce soit des carcasses infectées ou de l’eau contaminée, mais une telle prévalence dans la faune sauvage interdit de recourir à des méthodes d’éradication comme l’abattage des visons ou des hamsters. Les autorités en charge de la faune sauvage aux États-Unis ont plutôt lancé un vaste programme de prélèvements réguliers d’échantillons sur les cerfs et une campagne de prévention adressée aux chasseurs pour limiter les contacts directs entre humains et cervidésSuresh V. Kuchipudi, « Multiple spillovers and onward transmission of SARS-Cov-2 in free-living and captive White-tailed deer », PNAS 119 (6), e21216441.. La découverte des cas de SARS-Cov2 chez des visons et des cerfs permet ainsi de qualifier la Covid-19 non seulement comme une maladie émergente, au sens où le virus aurait franchi les barrières des espèces en passant des chauves-souris aux humains par une espèce intermédiaire comme le pangolin, mais aussi comme une zoonose, au sens où le virus a la capacité à revenir vers d’autres espèces animales après être passé par les humains, dans un mécanisme de mutation permanente qui rend impossible son éradication définitiveNajmul Haider et al. 2020. « COVID-19—Zoonosis or Emerging Infectious Disease? » Frontiers of Public Health 8: 596944..

Ce projet d’exposition sur la pandémie de Covid-19 vise à répondre, avec les méthodes d’argumentation et de documentation de l’anthropologie sociale, à la question suivante, qui est au centre de mon livre : comment penser les formes de la critique et de l’émancipation au temps des virus pandémiques ? L’exposition pose le même problème que l’argumentation, mais avec d’autres documents : elle implique une approche « curatoriale » qui vise à soigner (cure) les humains par une attention (care) aux choses entre lesquelles il faut trier (krinein) afin de les rendre visibles dans l’espace publicCf. Paul Rabinow, Préface à Clementine Deliss (dir.) Object Atlas. Fieldwork in the Museum, Kerber, Bielefeld, 2012.. Nous avons tous subi la pandémie de Covid-19 en tant que sujets des sociétés contemporaines, et ce livre cherche à répondre aux inquiétudes et aux questions qu’elle a posées. Mais nous pouvons le faire à partir des objets que cet événement laisse dans nos mémoires, comme l’ont fait les musées pour les sociétés du passé.

La pandémie de Covid-19 a mis en question les idéaux sur lesquels sont fondées les sociétés modernes à partir de craintes archaïques suscitées par la contagion. Les États ont pris des mesures autoritaires de quarantaine, de confinement et de vaccination qui ont fragilisé la liberté. La diffusion extraordinaire du virus de SARS-Cov2 dans les populations humaines a révélé des inégalités entre les populations humaines en fonction des maladies auxquelles elles sont ordinairement exposées et des technologies de soin auxquelles elles ont accès. Mais cette pandémie a aussi mis en lumière de nouvelles formes de solidarité entre humains, chauves-souris, pangolins, visons et cerfs, puisque nous avons tous été affectés par la même zoonose.

            La pandémie de Covid-19 a plus généralement mis en question les rapports entre vie et pouvoir, d’une façon qui interroge à nouveau ce que les sociétés modernes entendent par « vie » et par « pouvoir », et qui relance sur de nouvelles bases le projet moderne d’émancipation. Que signifient « faire vivre », « faire mourir », « laisser vivre » et « laisser mourir » lorsque des populations humaines sont confinées chez elles pendant des mois pour éviter la contagion, mourant parfois seules faute d’avoir eu accès aux soins, lorsque des citoyens sont encouragés à se vacciner pour contenir un virus inconnu et ne peuvent plus accéder à des lieux publics s’ils ne le font pas, lorsque des visons ou des hamsters sont massacrés pour éviter qu’ils ne fassent muter ce virus, lorsque des chauves-souris sont attrapées et saignées pour en tirer des prélèvements de virus, lorsque des cerfs sont tenus à distance des animaux domestiques pour éviter qu’ils ne leur transmettent un virus qu’ils ont déjà largement diffusé dans leur espèce ?

Contributeur·ices

Patrice Maniglier

Comment citer ce texte

Frédéric Keck, «La Covid-19 exposée comme pandémie et comme zoonose», Les Temps qui restent, n°2, juillet-septembre 2024.