Géo-lithographie du temps suspendu

« Géo-lithographie du temps suspendu » n’est pas un essai, mais un poème. Ce poème est la trace d’une quête : chercher ce qui se cache derrière cette silhouette grelottante, un peu décharnée, qu’on nomme « j ». j est un être sans forme, il n’appartient à aucun règne – humain, animal, végétal, minéral – mais emprunte un peu à chacun, ne serait-ce que pour se donner des contours un tant soit peu saisissables. Il évolue au gré des routes et des métamorphoses, « Géo-lithographie du temps suspendu » en est comme l’ombre projetée sur le flanc d’une montagne.



I.

j affleure à la surface du jour

après maints retournements

la terre s’est ébranlée et

j est advenu

légèrement scintillant

à la surface du jour





j a grandi dans des caves souterraines

à l’ombre des cristaux qui grondent

se développent en bourgeons

j métamorphique

dans l’eau du fleuve rouge




chaque jour j change de majuscule

         -       j s’appelle j par convention –

j invente sa nouvelle méthode subductive

j côtoie les profondeurs et

se fait oublier

j renaît dans quelque fissure

océanique





les jours de fatigue

j se prend à rêver

d’une vie fossile

un pan de roche dissimulé

entre deux strates

où j pourrait demeurer j

comme métaphorisé

pour les siècles à venir





mais j est de ceux qui bouillonnent

j s’émousse au moindre vent

j prend la forme du temps qui l’accueille

et perd un peu de soi

sous forme de sable

ou d’arène





mais j s’enthousiasme à l’idée

que chaque atome

n’appartient ni à j ni à quiconque

il imagine des classifications à venir

des j + j + j = §

sur ses cahiers j dessine

des tableaux périodiques





par collisions successives

j construit des montagnes obliques

à sa surface se déposent

les alluvions

j devenu j

dans l’interstice entre deux continents





j se décompose

en unités reconnaissables

les minutes sont noires

et les instants sont longs

l’air est opaque

j respire par saccades





j s’érode et son âge s’efface

de ses traits il ne reste

que le souvenir

passager

d’une effusion

le lichen fleurit

dans le creux de son sein





j a brisé la dernière montre

et une carapace a grandi sur son dos

toujours j cherche une méthode

ductile

qui puisse le guider vers ce qui n’a pas de nom

j reptilien

j lézarde

et sur sa carapace

les écailles irisées des jours





II.

j sans répit cherche à s’épeler

à la surface des déserts minéraux

j cherche des traces des siens

j trouve des pointes de flèches

des coquilles de pierre

mais j ne trouve pas

la parole chuchotante

de l’espèce

que j vient d’inventer





j sait qu’il est très rare que les mots

trouvent refuge dans la roche

à peine quelques dessins de mains

demeurent à la surface

j persuadé pourtant

d’une langue inoxidable

endormie





parfois

quand j pleut

j se déminéralise

et de sa voix il ne reste que les os

frileux et grêles

offerts à tous les vents





dans sa quête j perd son visage

ne lui restent que ses cordes vocales

égosillées





j explore les lacs asséchés

les étendues salées au milieu des terres

parfois on voit l’ombre de j

quaternaire

glisser le long du flanc hérissé d’une montagne





j cherche jusque dans son propre corps

j au fin fond de l’angle des chevilles

j dans le creux des poignets

aucune cavité organique n’échappe à j

dans sa quête vers l’incertain





j laisse sur son passage de longues stries longilignes

à la manière des glaciers disparus

de longues moraines

de fragments abandonnés

de j

futurs inexplorés pour aventuriers

à venir





j sais que de j il ne restera rien

il reformule poétiquement

la loi de l’entropie

         -       qu’il nomme loi de j –

puis trace avec son doigt des lignes d’écriture

sur le sol poussiéreux

des lignes de traits suivis de points





j regrette qu’il ne lui reste

que la dissolution

j – j = ·





j voudrait être dévoré

mais quelle espèce rampante

aujourd’hui

dévorait-t-elle

encore j ?