Démanteler des réseaux en ruine:
Câbles sous-marins et biodiversité en mer Méditerranée

Ayant une vie, les câbles sous-marins de télécommunication ont aussi une fin de vie. Comment meurt un câble sous-marin et comment en hériter ? Ces questions soulèvent celle de l’interaction entre toute une panoplie d’agents divers et variés : autorités locales et internationales, propriétaires des câbles, experts écologues, institutions pour la protection de l’environnement, agents chargés du démantèlement et d’autres, non des moindres: poissons, corail, herbiers. En racontant dans le détail l’histoire de la dépose d’un câble près de Martigues, Clément Marquet montre le jeu des temporalités différentes par lequel se définit l’horizon ouvert d’une surveillance et d’une maintenance des conditions de cohabitation entre les réseaux et les écosystèmes.

Introduction

Les câbles sous-marins de télécommunication sont des infrastructures composant le réseau internet mondialJe tiens à remercier chaleureusement les participant·es au séminaire interne du Centre de Sociologie de l’Innovation pour leurs retours bienveillants et inspirant sur la première version de ce texte. Merci également à Sara Angeli Aguiton, Luca Paltrinieri et Jim Schrub pour leurs relectures, et à Benjamin Cadville, pour sa générosité dans l’échange et le partage des nombreuses photos qui illustrent cet article.. Au cours des dix dernières années, le nombre de câbles en activité a doublé, passant de 263 en 2014https://geospatialworld.net/news/telegeography-releases-submarine-cable-maps/, à 559 aujourd’huihttps://submarine-cable-map-2024.telegeography.com/. Cette augmentation rapide est impulsée par les grandes entreprises du numérique, capables d’investir des milliards de dollars pour accompagner la croissance des données transitant par les réseaux. Si cette expansion est scrutée par les investisseurs, discutée pour ces enjeux technologiques, économiques et géopolitiquesDominique Boullier, « Internet est maritime : les enjeux des câbles sous-marins », Revue internationale et strategique 95, no 3 (1 octobre 2014): 149‑58; Ophélie Coelho, Géopolitique du numérique: l’impérialisme à pas de géants (Ivry-sur-Seine: les Éditions de l’Atelier, 2023); Camille Morel, Les câbles sous-marins: enjeux et perspectives au XXIe siècle, Biblis 265 (Paris: CNRS éditions, 2023)., elle invisibilise le devenir d’autres câbles, ceux qui, devenant obsolètes, sont alors désactivés. Selon Alan Mauldin, directeur de la recherche à TelegeographyTelegeography est la société de référence en matière de conseil et d’étude du marché des télécommunication. Elle publie annuellement la carte des câbles sous-marin actif et en construction dans le monde., les nouvelles générations de câbles posés par les GAFAM vont accélérer la fermeture des plus anciens : ceux-ci transportent moins de données tout en ayant des coûts d’entretien et de réparation élevés. Ainsi, une « extinction de masse » menacerait l’écosystème des câbles sous-marins de télécommunicationAlan Mauldin, “Is a Mass Extinction of Submarine Cables Looming?”, Blog Telegeography, 4 octobre 2018,  https://blog.telegeography.com/is-a-mass-extinction-of-submarine-cables-looming-retired-cable.  

Que ce discours prophétique soit vrai ou nonUn entretien réalisé avec les employés d’Orange International Networks Infrastructures and Services (Oinis), tend à modérer ce propos. Oinis est la direction technique du groupe Orange en charge de concevoir, planifier, déployer et exploiter les réseaux internationaux et longues distances. Entretien avec Carine Romanetti (responsable du département stratégie réseaux et systèmes sous-marins), Emmanuel Martin (chargé d’exploitation des câbles) et Ricardo Ona (chargé de projet), Oinis, le 15 janvier 2024., il invite à s’interroger sur la fin de vie des infrastructures matérielles du numérique. Rendre compte des conditions politiques, sociales et environnementales de leurs fermetures semble particulièrement important dans un contexte où celles-ci se multiplientEn France par exemple, la fermeture du réseau 2G est prévue pour 2025, celle du réseau 3G pour 2028, et celle du cuivre pour 2030. Concernant les centres de données, l’expansion du cloud s’accompagne de nombreuses infrastructures qui étaient auparavant opérées par des entreprises non spécialisées dans le numérique Eric Masanet et al., « Recalibrating Global Data Center Energy-Use Estimates », Science 367, no 6481 (28 février 2020): 984‑86, https://doi.org/10.1126/science.aba3758.., du fait de la croissance rapide de nouvelles générations technologiques. L’objectif du présent texte est de documenter ce qu’il advient des restes de câbles sous-marins de télécommunication, la mise en visibilité de leurs conséquences environnementales, et le travail nécessaire à leur démantèlementLes acteur·rices rencontrées dans ce travail parlent plutôt de « décommissionnement » des câbles sous-marins. Ici, j’utiliserai tour à tour les termes décommissionnement et démantèlement pour renvoyer au même phénomène. Démantèlement permettant d’ouvrir une discussion avec des pans plus larges de la littérature académique touchant à d’autres types d’équipement industriels.lorsque celui-ci n’a pas été pris en charge par les organisations (publiques ou privées) qui en avaient la responsabilité.  

Les câbles sous-marins sont déployés au fond de mers depuis le milieu du XIXème siècleMorel, Les câbles sous-marins, op. cit.. Lors de cette longue histoire, plusieurs générations technologiques se sont succédées (schématiquement, les réseaux télégraphiques ont été remplacés par les coaxiaux, suivis de la fibre optique). Aujourd’hui, ils représentant 96% du trafic internet international, parcourant 1,4 millions de kilomètres. Leur durée de vie est généralement estimée à 25 ans – bien qu’ils ne soient en pratique utilisés qu’une quinzaine d’annéesRené Salvador et al., Du Morse à l’Internet: 150 ans de télécommunications par câbles sous-marins (La Seyne-sur-Mer: Association des amis des câbles sous-marins, 2006).. Puis, ils sont désactivés. Une fois débranchés, ils peuvent connaître des destins variés : certains sont réutilisés pour interconnecter des territoires marginalisés à peu de frais, d’autres sont découpés puis immergés pour construire des récifs artificielsNicole Starosielski, The undersea network, Sign, storage, transmission (Durham: Duke University Press, 2015). Le recyclage dans le but de récupérer le cuivre et les matériaux synthétiques qui les composent est également pratiqué. Mais, de nombreux câbles sont simplement abandonnés. D’une façon générale, les informations à ce sujet sont très parcellaires : alors que la carte des câbles actifs est maintenue soigneusement à jour par l’entreprise Telegeography, il n’existe pas, en revanche, de suivi systématique du devenir des câbles désactivés.  

On peut faire l’hypothèse que, si le devenir des câbles intéresse peu, c’est que ces infrastructures ne posent pas vraiment de problème. C’est d’ailleurs le message qui est généralement communiqué à leur sujet : dépeints comme passifs, restant de longues années au fond des mers et des océans, les câbles ne s’altèrent pas et peuvent être colonisés par des écosystèmes marinsNicole Starosielski et al., « Report on Best Practices in Subsea Telecommunications Sustainability » (Sustainable Subsea Networks, 2023).. L’intérêt environnemental de leur recyclage est même interrogé à l’aune des dégâts que pourraient occasionner leur retrait et des émissions de gaz à effet de serre qui seraient générées par les navires de dépose.  

Cependant, les câbles abandonnés peuvent également constituer sujet de préoccupation de la part des acteurs de la protection de l’environnement. Ainsi, les responsables du Parc Marin de la Côte Bleue (PMCB), un espace maritime protégé entre Martigues et Marseille, dans le sud de la France, ont investi de 2008 à 2021 un temps et des ressources non négligeables pour obtenir le retrait de quatre câbles sous-marins par la société Orange. Selon les écologues responsables du parc, ces câbles se dégradaient au fond de l’anse de la Couronne Vieille (fig 1), menaçant la sécurité des baigneur·ses et fragilisant des écosystèmes côtiers. Il s’agit là d’une situation originale, qui invite à relativiser les récits habituels sur la fin de vie des câbles (ils ne constituent pas un problème pour les environnements qu’ils habitent) en donnant à voir un cas limite du décommissionnement des grands réseaux sous-marins. Comment et pourquoi, ces câbles dont les impacts environnementaux sont systématiquement présentés comme négligeables voire inexistants, sont-ils devenus un enjeu de bataille pour la préservation des milieux ? 

Fig. 1. L’anse de la Couronne Vieille, Martigues. 
Photo de Clément Marquet - 2024

Dans le contexte de bouleversement climatiques et environnementaux que nous connaissons, les questions d’héritage et de démantèlement des grands équipements industriels suscitent une attention croissante, abordées par la littérature en sciences sociales sous différents angles : comme un enjeu d’attribution des responsabilités collectives dans la gestion des ruines du capitalismeAlexandre Monnin, Emmanuel Bonnet, et Diego Landivar, Héritage et fermeture: une écologie du démantèlement (PARIS 12: Editions Divergences, 2021)., comme de nouvelles réserves de biodiversité urbaineAnna Storm, « Industrial Nature », in Post-Industrial Landscape Scars, éd. par Anna Storm, Palgrave Studies in the History of Science and Technology (New York: Palgrave Macmillan US, 2014), 101‑26, https://doi.org/10.1057/9781137025999_5.qui peuvent également constituer des espaces d’épanouissement pour des espèces proliférantes et menaçantes pour d’autres écosystèmesNils Bubandt et Anna Lowenhaupt Tsing, « Feral Dynamics of Post-Industrial Ruin: An Introduction », Journal of Ethnobiology 38, no 1 (mars 2018): 1‑7, https://doi.org/10.2993/0278-0771-38.1.001; Anna Lowenhaupt Tsing, Andrew S. Mathews, et Nils Bubandt, « Patchy Anthropocene: Landscape Structure, Multispecies History, and the Retooling of Anthropology: An Introduction to Supplement 20 », Current Anthropology 60, no S20 (août 2019): S186‑97, https://doi.org/10.1086/703391., ou encore comme une opportunité pour faire émerger une plus grande diversité infrastructurelleFanny Lopez, « L’effondrement des grandes infrastructures : une opportunité ? », Multitudes n° 77, no 4 (2019): 70‑77.. Ces études mettent en lumière l’ambivalence et l’hétérogénéité qui caractérisent les ruines, interrogeant les limites du travail de conservationCaitlin DeSilvey, Curated Decay: Heritage beyond Saving (Minneapolis London: University of Minnesota Press, 2017).et soulignant les porosités entre le patrimoine (heritage), ce dont on hérite et que l’on cherche à valoriser, et l’héritage (legacy) avec lequel on est contraint à composerRodney Harrison, « Legacies: Rethinking the futures of heritage and waste in the Anthropocene », in Heritage Ecologies (Routledge, 2021).. A ce titre, je m’intéresserai notamment aux effets spécifiques de la territorialité de ces câbles sous-marins : il s’agit de réseaux, non d’infrastructures aux contours bien délimités. Les ruines réticulairesMattias Qviström, « Network Ruins and Green Structure Development: An Attempt to Trace Relational Spaces of a Railway Ruin », Landscape Research 37, no 3 (1 juin 2012): 257‑75, https://doi.org/10.1080/01426397.2011.589897.ont ainsi une emprise spatiale bien plus étroite que des installations comme les usines ou les centres de données, mais parcourent des espaces très hétérogènes tant par leur topographie, par les réglementations qui les concernent, par les acteur·rices qui s’y confrontent, et peuvent ainsi avoir des niveaux de dégradation ou de préservation du réseau lui-même très inégaux.  

Soucieux des tensions à l’œuvre dans l’héritage des friches de la modernité industrielle, cet article entend notamment contribuer aux travaux sur les ruines infrastructurelles de la société de l’informationJulia Velkova, « Retrofitting and Ruining: Bunkered Data Centers in and out of Time », New Media & Society 25, no 2 (1 février 2023): 431‑48, https://doi.org/10.1177/14614448221149946.. Des centraux téléphoniques abandonnésFanny Lopez, A bout de flux (Paris: Divergences, 2022). aux centres de donnéesJulia Velkova, « Data Centers as Impermanent Infrastructures », Culture Machine, 2019, https://culturemachine.net/vol-18-the-nature-of-data-centers/data-centers-as-impermanent/., le devenir des grands équipements obsolescents soulève des enjeux environnementaux, économiques et politiques peu étudiés car associés à de nouvelles technologies dont on n’envisage pas (encore) la fermeture, tant elles sont centrales au fonctionnement de nos sociétés. En particulier, ces infrastructures sont travaillées par les enjeux politiques de leur mise en visibilitéSusan Leigh Star, « The Ethnography of Infrastructure », American Behavioral Scientist 43, no 3 (novembre 1999): 377‑91, https://doi.org/10.1177/00027649921955326., qu’il s’agisse des équipements en activitéClément Marquet, « Ce nuage que je ne saurais voir. Promouvoir, contester et réguler les data centers à Plaine Commune », Tracés, no 35 (4 décembre 2018): 75‑98, https://doi.org/10.4000/traces.8235; Lisa Parks, « Around the Antenna Tree: The Politics of Infrastructural Visibility », Flow (blog), 2010, https://www.flowjournal.org/2010/03/flow-favorites-around-the-antenna-tree-the-politics-of-infrastructural-visibilitylisa-parks-uc-santa-barbara/; Aurélien Béranger et Gauthier Roussilhe, « Portfolio : sur le front de déploiement des infrastructures de télécommunication en zone rurale française », RESET. Recherches en sciences sociales sur Internet 15 (A paraître).ou de leurs ruinesPatrick Brodie et Julia Velkova, « Cloud Ruins: Ericsson’s Vaudreuil-Dorion Data Centre and Infrastructural Abandonment », Information, Communication & Society, 14 avril 2021, 1‑17, https://doi.org/10.1080/1369118X.2021.1909099.. La recherche d’un équilibre entre le visible et de l’invisible est une préoccupation constante dans le monde des câbles sous-marins, situés dans des espaces peu accessibles au regardChristian Bueger et Timothy Edmunds, « Beyond seablindness: a new agenda for maritime security studies », International Affairs 93, no 6 (1 novembre 2017): 1293‑1311, https://doi.org/10.1093/ia/iix174., et pris en tension entre des besoins de protection et de sécurisationNicole Starosielski, « Warning: Do Not Dig’: Negotiating the Visibility of Critical Infrastructures », Journal of Visual Culture 11, no 1 (avril 2012): 38‑57, https://doi.org/10.1177/1470412911430465; Christian Bueger et Tobias Liebetrau, « Protecting hidden infrastructure: The security politics of the global submarine data cable network », Contemporary Security Policy 42, no 3 (3 juillet 2021): 391‑413, https://doi.org/10.1080/13523260.2021.1907129..  

Ainsi, je m’intéresserai au travail de mise en visibilitéCyril Lemieux, « Rendre visible les dangers du nucléaire », in La cognition au prisme des sciences sociales, éd. par Bernard Lahire et Claude Rosental (Paris: Editions des Archives contemporaines, 2008), 131‑59.des câbles abandonnés par les acteur·rices souhaitant les faire relever. J’aborderai le démantèlement de ces ruines réticulaires principalement à partir de l’expérience d’un acteur, le Parc Marin de la Côte Bleue. Il s’agit ici de rendre compte du décommissionnement comme d’un travail d’enquête mené par les enquêté·esDaniel Cefaï et Cédric Terzi, éd., L’expérience des problèmes publics, Raisons pratiques 22 (Paris: Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012)., qui articulent l’exploration de la matérialité des câbles et de leur environnementAndrew Barry, Material politics: disputes along the pipeline (Chichester, West Sussex: Wiley-Blackwell, 2013); Andrew Barry et Evelina Gambino, « Pipeline Geopolitics: Subaquatic Materials and the Tactical Point », Geopolitics 25, no 1 (1 janvier 2020): 109‑42, https://doi.org/10.1080/14650045.2019.1570921.avec celle de leurs modes d’existence administratifDorothy E. Smith, Institutional Ethnography: A Sociology for People, The Gender Lens Series (Walnut Creek, CA: AltaMira Press, 2005).dans la perspective d’attribuer des responsabilités. Une telle perspective permet d’inscrire le décommissionnement dans une temporalité plus longue que les seuls travaux de retrait des câbles, et entend de découvrir les mondes des câbles sous-marins en tenant compte du caractère éminemment situé géographiquement et culturellement des enjeux de leur pose comme de leur relevageStarosielski, The undersea network.

Ce travail s’appuie sur une enquête au long court réalisée avec Loup Cellard sur le développement des infrastructures du numérique (centres de données, câbles sous-marins) à Marseille et dans les Bouches du Rhône. Le cas du Parc Marin de la Côte Bleue étant très spécifique dans ce contexte territorial, cet article se fonde en grande partie sur un entretien avec Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au sein du PMCB, sur les bilans annuels présentés au comité de pilotage du PMCB depuis 2009, le journal de chantier tenu pendant les opérations et sur les documents administratifs relatifs au relevage des câbles (expertise écologique, dossier loi sur l’eau). En complément, l’analyse base également sa compréhension sur des entretiens avec un scaphandrier présent lors des opérations, avec des responsables d’Orange International Networks Infrastructures and Services (Oinis), avec un capitaine de remorqueur ayant participé à la pose et au relevage de câbles en méditerranée et en mer rouge, avec le directeur adjoint et la chargée de mission projets structurant de la Direction Départementale des Territoires et des Mers des Bouches du Rhône, ainsi que l’étude des archives du bulletin des Amis des Câbles Sous-Marins.  

Le propos est organisé en trois parties. D’abord, je reviens sur la quête des propriétaires des câbles. Ensuite, j’analyse le travail d’expertise environnemental visant à attribuer la responsabilité du démantèlement et à assurer sa bonne réalisation. Enfin, je rends compte du travail de découpe mené par les ouvriers et ses conséquences à plus long terme, interrogeant l’horizon temporel dans lequel le démantèlement pourrait être considéré comme achevé. 

Des câbles sans propriétaires 

Le projet de démantèlement des quatre câbles sous-marins de télécommunication qui atterrissent dans l’anse de la Couronne Vieille, au sein du PMCB (Parc Marin de la Côte Bleue), prend forme en 2008, lors du classement de l’espace maritime de la Côte Bleue en site Natura 2000 « Côte Bleue Marine ». Le PMCB, désigné opérateur du site, doit alors réaliser un plan de gestion sur la période 2008-2015, indiquant ses objectifs en matière de protection de l’environnement. Les employés du PMCB, pour la plupart des écologues, identifient différents projets : réalisation d’inventaire de biodiversité, activités socio-économiques, participation à des études variées et relevage des macrodéchets polluant le fond des eaux. Cette catégorie désigne une grande variété d’objets volumineux qui ne peuvent être enlevés uniquement par des plongeurs et requièrent l’intervention de bateaux équipés: ainsi des pneus, des corps mortsDalle de béton ou objet pesant servant à arrimer des bateaux., des engins de pêche et, pour des raisons sur lesquelles nous allons nous attarder, des câbles sous-marins abandonnés.  

Les câbles ne constituèrent pas immédiatement une priorité pour les agent·es du PMCB. D’abord, car les projets de la zone Natura 2000 fraîchement créés étaient nombreux. Ensuite, car les câbles constituent des macrodéchets singuliers : à la différence des corps morts ou des pneus, qui peuvent être relevés avec relativement peu de moyens, les câbles sont des réseaux qui peuvent s’étendre sur des milliers de kilomètre. Dès lors, intervenir à leur égard nécessite des travaux bien plus conséquents, notamment de tronçonnage. Le PMBC n’était pas équipé pour ces travaux coûteux, ni ne souhaitait prendre en charge les ruines que d’autres avaient laissées derrière eux. 

Il s’agit ainsi de retrouver le propriétaire des câbles pour faire valoir son devoir de retirer les équipements qu’il avait abandonnés. Sur le principe, cette démarche n’est pas très compliquée : jusque 2008, Orange détient un centre de télécommunication à Martigues, à moins de 500 mètres dans les terres depuis l’anse de la Couronne Vieille. C’est dans ce centre que s’effectue l’interconnexion entre les réseaux maritimes et les réseaux terrestres. Cependant, la présence du centre ne fait pas automatiquement d’Orange le propriétaire des câbles. Dans de nombreux cas, les stations d’atterrage louent également leurs espaces pour accueillir les réseaux d’autres opérateurs. Les agent·es du PCMB doivent donc récupérer les documents administratifs indiquant quelles entreprises sont propriétaires des câbles, et leur communiquer ensuite des courriers les invitant à s’en occuper. En l’occurrence, pour avoir le droit d’atterrer, les opérateurs de câbles sous-marins doivent demander une concession d’utilisation du Domaine Public Maritime (DPM) auprès la Direction Départementale des Territoires et des Mers (DDTM) du département concerné. Ces documents administratifs permettent aux fonctionnaires d’instruire les demandes et indiquent aux câbliers les règles que se donne l’État dans l’usage des fonds marins. Depuis 2004, les concessions d’utilisation du DPM incluent l’obligation de retirer les câbles et de restaurer l’environnement dans l’état initial.  

Cependant, cette démarche s’avéra plus difficile que prévue, car la DDTM n’était pas ou plus en possession des documents permettant d’attribuer la propriété des câbles. Au fil de leurs recherches, les agent·es du PMCB identifient des traces des câbles sur internet, grâce à la base de données entretenue par le site web sigcables.com. A destination des navigateurs et plus particulièrement des pécheurs, cette base de données avait pour objectif de communiquer la localisation des câbles afin d’éviter leur arrachage par des engins de pêche, qui sont la première cause de leur détériorationCamille Morel, « La mise en péril du réseau sous-marin international de communication », Flux N° 118, no 4 (2019): 34‑45.. Rendre visible les câbles auprès des acteur·rices concerné·es constitue ainsi une pratique courante dans l’industrie pour limiter les dégradationsStarosielski, « Warning ».. Le site sigcables.com permet ainsi d’identifier les quatre câbles ayant Martigues pour point d’arrivée et atterrant dans l’anse de la Couronne Vieille. Nommés Amitié, France-Algérie, Didon et Barmar, ces câbles sont associés à une « autorité de maintenance », l’entreprise Orange, et en particulier sa filiale « Orange International Networks Infrastructures and Services » (Oinis)Oinis est la direction technique du groupe Orange en charge de concevoir, planifier, déployer et exploiter les réseaux internationaux et longues distances.

Le contact avec Oinis fut néanmoins peu concluant :  

« La première réponse que nous a faite [le responsable d’Oinis], c’est "nous on est Orange, c’est des câbles France Télécom, ils n’appartiennent pas à Orange". J’ai eu du mal à entendre ça […]. Ils prennent tous les actifs, mais refusent les passifs de France Télécom : "ce n’est plus nous". » (Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 du PMCB, le 24 février 2022) 

Le responsable d’Oinis renvoie ainsi Benjamin Cadville à l’histoire des télécommunications. Amitié, France-Algérie, Didon et BarmarAmitié en 1978, reliant la France au Maroc via Tétouan ; France Algérie, 1980, reliant les deux pays via Alger ; Barmar, 1993, reliant la France à l’Espagne via Barcelone ; Didon, 1993, reliant la France à la Tunisie via Bizerte.ont été posés, pour les deux premiers, par le Ministère des Postes, Télégraphes et des Télécommunications (PTT) en 1978 et 1980, et pour les deux suivants, par France Télécom (alors établissement de droit public) en 1993. La privatisation de France Telecom a lieu en 2004. Cette année-là se clôt également le rachat d’Orange par l’entreprise – le changement de nom n’arrivera qu’en 2013. Les câbles sous-marins de l’anse de la Couronne Vieille constituent l’héritage d’un choix opéré par les services publics dans les années 1970 : celui de diversifier les points d’atterrage des câbles sous-marins autour de Marseille pour limiter leur concentration et leur vulnérabilitéGérard Fouchard, « Marseille et les câbles sous-marins à l’ère du coaxial », Bulletin de l’Association des Amis des Câbles Sous-Marins, 2008.. Désactivés entre 1999 et 2004, leur fermeture se déroule pendant la privatisation progressive de France Télécom, qui a mis fin à la diversification des points d’atterrage. On peut ainsi faire une hypothèse quant à l’absence de concession d’utilisation du Domaine Public Maritime les concernant : ayant été décidés et posés par l’administration française ou par une entreprise publique, il est possible que les fonctionnaires ne se soient pas embarrassés de la formalisation de l’utilisation du DPM et se soient arrangés de gré à gré. 

Lors de leur recherche d’information sur les câbles de l’anse Couronne Vieille, les écologues du PCMB ont mobilisé une ressource (le site sigcables.com) qui se donne à voir comme une infrastructure informationnelle rendant visible les infrastructures sous-marines de télécommunication. Voilà qui nous informe sur les ressources de l’enquête autant que sur la façon dont des outils d’intermédiation sont produits pour faire exister les câbles auprès de certain·es usager·es de la mer malgré leur invisibilité. Nous voyons aussi par là comment l’histoire économique et les transformations des organisations contribuent à la disparition des responsabilités infrastructurelles, fabriquant des héritages sans propriétaires. En 2018, les câbles abandonnés n’ont plus de propriétaire administrativement reconnu: comment les faire alors exister aux yeux des administrations et d’Orange pour permettre leur décommissionnement ? 

Expertise environnementale et soutien des pouvoirs publics 

Face aux fins de non-recevoir d’Orange et pour ne pas « mettre en porte-à-faux l’État qui ne retrouvait pas les documents officielsBenjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021. », le PMCB entend faire pression sur l’opérateur par un autre levier, celui l’expertise environnementale. Rendre visible les câbles, c’est les faire exister comme des entités menaçantes et mettre en évidence les manières d’agir à leur égard. En cela, nous allons voir que le PMCB mobilise des compétences fongibles avec les attentes technico-administratives des pouvoirs publics, et notamment de la police de l’eau. Pour éclairer cette stratégie, je reviens brièvement sur l’histoire de la localisation des câbles, en distinguant deux opérations : le travail de qualification des câbles en macro-déchets et celui de délimitation du réseau à démanteler.

Du réseau abandonné au déchet menaçant

Dans les années 1990, la zone d’atterrage des câbles sous-marins au large de l’anse de la Couronne Vieille fait l’objet de préoccupations environnementales. Celles-ci se sont concrétisées en 1996 avec la création de l’Aire Marine Protégée (AMP)Zone dans laquelle les pêches professionnelles, sous-marines et à la ligne, ainsi que la plongée en scaphandre et le mouillage des bateaux sont interdits toute l’année pour la protection et le repeuplement du milieu marin.de Cap Couronne, située à l’entrée de l’anse de la Couronne Vieille. Cette AMP constitue une réserve de 210 hectares au sein de laquelle la pêche est interdite dans l’objectif de favoriser le renouvellement de populations halieutiques (tels le merlu, le pageot ou les rougets) et de protéger les herbiers de Posidonie (une plante endémique de la méditerranée protégée depuis 1981 pour ses nombreuses fonctions écosystémiquesCes plantes endémiques de la Méditerranée constituent de vastes herbiers entre la surface et 40 mètres de profondeur, auxquelles les scientifiques associent de nombreux services écosystémiques : source de nourriture, pôle de biodiversité, oxygénation des eaux, protection du littoral contre l’érosion, zone de ponte pour poissons, ou encore « usine à sable » qui permet de garnir les plages.). Lors de sa création, les écologues affirment également qu’elle permettra de limiter « les dommages occasionnés par les chaluts aux câbles de télécommunications sous-marines qui traversent cette zoneJean-Yves Jouvenel et al., « Suivi biologique d’une réserve marine de la Côte Bleue (Golfe de Marseille, Méditerranée, France) », Revue d’Ecologie, Terre et Vie 59, no 1‑2 (2004): 244. Il est remarquable qu’à une trentaine de kilomètres du Cap Couronnes, le Parc National des Calanques a lui aussi été créé en se superposant partiellement à un cône de protection des câbles sous-marins préalablement établi par arrêté préfectoral. Une étude plus systématique pourrait indiquer si ces phénomènes de convergence sont plus fréquents.». Au cœur de la zone maritime protégée, les câbles étaient d’ailleurs bien connus de la part des écologues, qui s’en servaient depuis longtemps pour leurs activités quotidiennes : 

« Nous le savions déjà, cela fait déjà 30 ans que nous savons qu’ils sont sous l’eau, nous en avons même utilisé comme des stations de comptage. […] Cela nous servait de point de repère, comme nous plongeons à côté des eaux du fleuve Rhône, avec l’embouchure du Rhône qui est à quelques kilomètres de chez nous, nous travaillons dans des conditions de visibilité… ce n’est pas la Manche ni l’Atlantique, mais à l’échelle de la Méditerranée, c’est ce que nous appelons de la touille […] dans le sens où c’est une visibilité de 2-3 m, régulièrement. » (Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021) 

Ainsi, les câbles sous-marins étaient depuis de longues années connus et parfaitement intégrés dans leur environnement. Dans une convergence d’intérêt avec la protection de la reproduction des poissons et des herbiers de Posidonie, ils bénéficient de la protection de l’AMP contre l’activité des pêcheurs, et cohabitent avec les herbiers qui, localement, en sont même venus à couvrir les réseaux – cohabitation qui est observable en d’autres lieux, comme le Parc National des Calanques et à proximité des plages du PradoLoup Cellard et Clément Marquet, « Frictions sous-marines », Revue d’anthropologie des connaissances 17, no 4 (1 décembre 2023), https://doi.org/10.4000/rac.31070.

Cependant, au milieu des années 2000, les câbles présents dans l’anse de la Couronne Vieille commencent à se dégrader, alertant ainsi les écologues (fig. 2).

Fig. 2. Câble France-Algérie détoronné.
Crédit : PMCB.

Cette situation, rarement relevée par la littérature sur les câbles sous-marins qui insiste généralement sur la stabilité des réseaux dans le tempsStarosielski, The undersea network; Morel, Les câbles sous-marins., tient aux conditions dans lesquelles ils ont été déconnectés du caisson d’atterrage figurant sur la plage (fig. 3). Les employés ont visiblement été peu regardants des restes qu’ils laissaient sous l’eau : après avoir détachés les câbles de leur point d’atterrage, ils ont coupé les parties proches du littoral en tronçons, puis les ont rejetés à peine plus au large, là où les fonds atteignent deux mètres de profondeur. Cependant, sous l’action de la houle, les torons d’aciers protégeant les câbles des agressions extérieures se « détoronnentLe verbe détoronner signifie défaire, détresser des fils, cordages ou câbles qui étaient tordus les uns autour des autres pour assembler une seule entité.», constituant autant de pics menaçant baigneurs, plongeurs et petits navires. Cette lente dégradation s’accompagne également de risques moins visibles, comme la pollution chimique provoquée par l’altération des métaux au contact de l’eau, ceux-ci échappant aux gaines de plastiques qui les protègent normalement. Par ailleurs, ces câbles détachés menacent les herbiers de Posidonie : libérés de la tension suscitée par le point d’atterrage, ils sont alors mus par la houle qui provoque des mouvements latéraux, arasant le sol, et détruisant ainsi les plantes alentours. 

Fig. 3. Le caisson d’atterrage des câbles sous-marins, anse de la Couronne Vieille, Martigues.  
Crédit : PMCB. 

Alors qu’Orange International Networks Infrastructures and Service (Oinis) refuse d’intervenir sur les câbles, le PMCB décide d’alerter la Direction Départementale des Territoires et des Mers (DDTM) en mobilisant les compétences de ces agent·es et en produisant un dossier d’expertise environnementale :  

« On a réalisé nous-mêmes cette mission d’expertise, de manière bénévole, non financée par Orange… pas bénévole, sur nos fonds propres… pour justement alerter Orange et les pouvoirs publics, la DDTM, sur l’intérêt et la nécessité, même, d’enlever ces câbles […] Nous avons fait tout ce travail en autonomie et sans appui, en même temps d’avoir expertisé la totalité des câbles. Au Parc Marin, nous sommes une petite équipe de 7,5 personnes. Il y avait à l'époque 5 plongeurs professionnels. On est une équipe très opérationnelle sur le terrain. C’est ce qui fait notre force, d’être derrière les bureaux pour prévoir les mesures et ensuite, avoir la tête sous l’eau pour pouvoir les appliquer et se confronter à la réalité, aux difficultés du terrain. » (Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021) 

Ce dossier consiste à documenter, pour les quatre câbles, des éléments généraux, tels que leur localisation précise dans l’anse et à sa sortie, la nature juridique des espaces qu’ils traversent (par exemple, la présence de certains câbles dans des Zones Uniquement Réservées à la Baignade), et le type du fond marin sur lequel ils reposent (sable, roche). Puis, suivant le réseau au fond de l’eau, les écologues prêtent particulièrement attention à trois types de situation : d’abord, ils rendent compte de l’état de dégradation des câbles (fig. 4), soulignant qu’à proximité des zones de baignade, plusieurs câbles se « détoronnent » et menacent les baigneur·ses. Les écologues identifient et évaluent aussi la présence d’herbiers de Posidonie, leur vitalité (« faible recouvrement », « petites pousses », « tâches » ou au contraire « herbier dense ») et leur rapport avec le câble : celui-ci arrase-t-il les pousses environnantes, repose-t-il sur l’herbier ou au contraire a-t-il été absorbée par la matte (fig. 5) ? Ils relèvent également la présence d’objets naturels ou d’origine anthropique susceptibles de compliquer les travaux de relevage : en certains endroits, le câble passe sous des rochers, au-dessus d’un cheval de frise en acier ou s’est emmêlée avec des chaînes de plusieurs dizaines de mètres, provenant probablement d’un bateau (fig. 6). 

Fig 4. Câble détoronné. 
Légende de la photo dans le rapport du PMCB : « Le câble est posé sur de la roche. Une longueur de 3 mètres commence à se détoronner fortement, comme sur d’autres portions. Des morceaux d’1 mètre de long de cette gaine en acier sont retrouvés aux alentours du câble dans des dépressions rocheuses. On note une abrasion significative de chaque côté du câble qui témoigne d’un mouvement latéral, probablement lors des tempêtes. ». Cf. Benjamin Cadville et Frédéric Bachet, « Expertise écologique de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans le Parc Marin de la Côte Bleue » (Parc Marin de la Côte Bleue publ., 2021), 13.
Crédit : PMCB 
Fig. 5 Câble passant sur l’herbier de Posidonie. 
Légende de la photo dans le rapport du PMCB : « A partir de 5 mètres de profondeur, on retrouve la présence de tâches d’herbier de Posidonie sur roche qui se densifie au fur et à mesure. A cet endroit, le câble DIDON est posé dessus l’herbier de Posidonie. » Cf. Cadville et Bachet, 17.
Crédit : PMCB 
Fig. 6. Surplomb rocheux et conière de fibre de verre. Légende de la photo dans le rapport du PMCB : « Une cornière en fibre de verre est présente sous le câble BARMAR, sans que l’on sache si c’est pour le protéger des têtes de roche en dessous ou si cette plaque est venue s’enraguer sous le câble. Le câble BARMAR passe sous un surplomb rocheux de 2 mètres de large. » Cf. Cadville et Bachet, 21. 
Crédit : PMCB 

Ce passage par l’expertise environnementale fait exister le câble sous-marin non seulement comme menace, mais également comme système sur lequel il faut agir, préconisant les méthodes et instruments techniques auxquels recourir et espaces concernés par le problème. Il permet ainsi de saisir comment se manifeste la forme réseau dans le démantèlement : après avoir utilisé le réseau comme repère dans leurs activités quotidienne (le réseau pour rendre visible la transformation des écosystèmes), les écologues cherchent à rendre visible la transformation des câbles eux-mêmes. Ceci réclame de les faire exister comme des risques, en documentant leurs comportements en tant que ruine, afin de faire reconnaître le problème à d’autres acteurs dans sous un format qui leur est familier. Ainsi, le PMCB parvient à trouver le support de la DDTM, qui interpelle Oinis en sommant l’entreprise de faire retirer les câbles abandonnés. 

Les contours négociés du démantèlement 

En 2019, parallèlement aux demandes du PMCB, Orange répondit favorablement à une demande de la mairie de Martigues concernant destruction de la chambre d’atterrage des câbles sous-marins, située sur la plage (fig. 3 et fig. 7). Cependant, ce premier élan s’arrête là, et l’entreprise ne répond plus aux demandes conjointes du PMCB et de la DDTM. Face à l’inertie du dossier, les agent·es du PMCB plongent à nouveau, sur quatre journées, pour étoffer leur premier document et nourrir directement les démarches administratives qu’Orange devra faire pour pouvoir enlever les câbles, à savoir déposer un dossier « Loi sur l’eau », nécessaire pour toute intervention ayant un impact direct ou indirect sur le milieu aquatique. Ce travail a notamment constitué à définir précisément la localisation des câbles et des zones à découper. C’est cette opération de délimitation spatiale du décommissionnement qui va nous intéresser maintenant. 

Fig. 7. Le caisson d’atterrage des câbles sous-marins, après réhabilitation, avec des pierres collées en façade, anse de la Couronne Vieille, Martigues.  
Crédit : Clément Marquet – 2024.

Si l’on cumule leurs distances, la longueur des quatre câbles atterrant anse de la Couronne Vieille est d’environ 2000 km. Ils traversent les eaux internationales, puis terminent leur cours dans les eaux marocaines, algériennes, espagnoles ou tunisiennes. Le retrait de la totalité des câbles nécessiterait ainsi un ensemble d’opérations et une coordination avec les autorités nationales des pays cités qui débordent le cadre de la requête du PMCB. Nous comprenons donc que, lorsqu’il est fait mention du relevage d’un câble, il s’agit en fait du relevage d’une portion de câble. Prenons pour exemple un autre cas aux abords de Marseille, le relevage du câble Ariane 2 traversant le Parc National des Calanques : sur les 2300 km de câble reliant Marseille à Chania (Grèce), le câble n’a été retiré que sur 12 milles nautiques (22 km)Le nombre de kilomètre linéaire de câble relevé n’a pas été communiqué, il y a certainement plus de 22 km, puisque le câble ne suit pas une ligne droite entre le littoral et la limite des eaux territoriales. Néanmoins, cette différence reste marginale au regard du nombre de kilomètres parcourus au fond des eaux internationales Méditerranéenne., soit jusqu’à la limite des eaux territoriales françaises – elle-même déjà inférieure à la limite de la Zone Economique Exclusive, qui se situe à 70 milles nautiques (129 km) du littoralQu’advient-il du reste du câble ? Selon les cadres d’Oinis, les portions de câbles situées dans les eaux internationales sont souvent retirées puis recyclées par des entreprises spécialisées en la matière. Elles sont plus faciles à retirer, ne demandent pas de contraintes administratives spécifiques, et font l’objet d’un contrat entre le propriétaire du câble et l’entreprise en charge du relevage. Entretien avec Carine Romanetti (responsable du département stratégie réseaux et systèmes sous-marins), Emmanuel Martin (chargé d’exploitation des câbles) et Ricardo Ona (chargé de projet), Oinis, le 15 janvier 2024.. Une fois le démantèlement réalisé, le reste du câble peut aussi bien être laissé à l’eau que récupéré par une entreprise spécialisée dans le recyclage de câble. Il s’agit d’une autre opération, ne dépendant pas des administrations françaises, et ne laissant pas de trace publique. 

L’enjeu donc, pour le PMCB, est de rendre visible à ces interlocuteurs (la DDTM et Orange) les portions de câble qu’il souhaite faire relever, et les motivations liées à cette demande. Cette mise en visibilité passe par un travail de cartographie précis des fonds marins, articulant la mise en place de repères physiques de coupes accrochées aux câbles (fig. 8) et la production d’informations cartographiques précises indiquant les portions de câbles à relever (fig. 9). 

Fig. 8. Plongeur du PMCB accrochant un repère de coupe. 
Crédit : PMCB. 
Fig. 9. Carte de l’anse de la Couronne Vieille.
On y distingue les types de fonds marins, les zones réglementaires, la présence d’herbiers de Posidonie ainsi que les câbles avec les points de coupe définis par le PMCB. Cf. Cadville et Bachet, « Expertise écologique de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans le Parc Marin de la Côte Bleue », 10.

L’attente du PMCB est alors bien inférieure à la limite des eaux territoriales nationales : l’équipe du parc appelle dans son dossier d’expertise au retrait les câbles jusque 17 m de profondeur, ce qui représente, cumulé pour les quatre câbles, 1,598 km. Cette distance est relativement faible, étant donné que la zone Natura 2000 s’étend jusqu’à 6 milles nautiques (11,1 km) et le Parc Marin jusqu’à 2 milles nautiques (3,7 km). Pour comprendre cette option moins-disante, il faut savoir que le retrait des câbles est l’objet de deux formes de négociation bien distinctes : la première a lieu avec Oinis, et la seconde, avec les acteurs non-humains dont on souhaite assurer la protection, à savoir les herbiers de Posidonie. 

D’abord, les écologues craignaient qu’en demandant à Oinis de retirer des câbles sur de trop longues distances, les négociations avec l’entreprise s’éternisent et n’entraînent une paralysie du dossier. Cela se manifeste notamment dans les échanges avec la DDTM, qui envisage de contraindre Orange à relever l’infrastructure jusqu’à la limite des eaux territoriales, proposition qui a été modérée par les agents du PMCB.  

« Nous avons fait un peu changer d’avis la DDTM, car elle se heurtait à des discussions assez houleuses avec le chef de service Oinis, sur la non prise en compte de ce chantier. Nous avons dû argumenter avec la chargée de mission Police de l’eau à la DDTM, au service de l’État, parce qu’elle disait « ils m’embêtent, à Orange Paris, s’ils continuent je vais leur demander qu’ils les enlèvent jusqu'aux 12 milles nautiques. Normalement, réglementairement, ça doit être fait comme ça ». C’est là où face aux difficultés d’échanger avec Orange, nous avons modéré cette analyse stricto sensu de la réglementation « non, ça fait déjà 3 ans qu’on essaye d’approcher Orange pour réaliser ces travaux, si l’État demande le démantèlement des 4 câbles jusqu’à la limite des eaux territoriales aux 12 milles nautiques, ça nous remet plusieurs années, voire une dizaine d’années avant que ce soit réellement réalisé, parce que là, oui, ça représenterait des centaines de milliers [d’euros] de coût pour Orange. » (Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021) 

Corrélativement, le problème tient également au nombre de câbles à enlever en une seule opération : quatre câbles sur 12 milles nautiques représentent 60 milles nautiques (111,12 km). Une telle entreprise aurait eu un coût économique non négligeable : pour 1,598 km enlevés dans l’anse de la Couronne Vieille, Oinis a estimé le coût des travaux à 200 000 €. 

Mais il ne faudrait pas pour autant en déduire qu’il s’agirait là d’un démantèlement au rabais, qui sacrifierait la protection de l’environnement sur l’autel de la réduction de coût. La délimitation des portions à enlever est avant tout appuyée par des arguments d’ordre écologique : selon Benjamin Cadville, les enjeux de biodiversité se jouent essentiellement à proximité du littoral, là où les câbles sont par ailleurs les plus dégradés. Au large, les câbles sont moins soumis à la houle et ensouillés sur certaines portions. Grâce à cette relative inertie, ils ont été colonisés au fil des ans par les herbiers de Posidonie et les concrétions coralligènes. Les retirer reviendrait donc à menacer les herbiersPour une étude des relations ambivalentes entre câbles et herbiers de Posidonie dans la pose des câbles sous-marins, voir Cellard et Marquet, « Frictions sous-marines ».et détruire des coralligènes. La limite du relevage fut donc fixée en tenant compte de l’activité de la mer, de la houle et de la vitalité des herbiers et du coralligène afin de ne pas créer plus de dommages par leur démantèlement dans l’aire marine protégée du Cap Couronne. Ce travail de délimitation concerne également l’intérieur de la zone définie : une portion de 13 mètres de long doit finalement rester sous l’eau, car celle-ci est colonisée par les herbiers.  

En produisant une expertise environnementale conformément aux attentes des pouvoirs publics, les écologues accélèrent considérablement le temps de prise en compte de leur projet : le rapport du PMCB peut être mobilisé directement par le bureau d’étude embauché par Oinis pour réaliser le dossier « Loi sur l’eau » préalable aux travaux, sans que celui-ci n’ait à se déplacer sur le terrainIbid..  Au cours de ce travail de délimitation, nous avons vu émerger un nouvel objet sous-marin, qui se démarque des macro-déchets précédemment présentés puisqu’il a vocation à rester sous l’eau. Les écologues nomment ces objets des « structures immergées restées à poste »Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021.. Autrement dit, des hybrides câbles-herbiers, qui resteront pour un temps indéfini au fonds des mers.  

Des restes à maintenir 

Suite à 3 mises en demeure de la DDTM, Orange commence le travail de décommissionnement des câbles en novembre 2021. Le chantier dure dix jours, implique deux barges de service, un navire de patrouille, trois pilotes de navire, trois marins de pont et quatre scaphandriersLes scaphandriers sont à distinguer des plongeurs dits « autonomes ». Profession ouvrière au sein des métiers de la mer, le scaphandrier doit travailler avec casque et narguilé qui le relie au bateau, et peut plonger seul en mer. Les plongeurs autonomes, avec bouteille d’oxygène, ont un équipement plus léger et doivent agir en binôme (entretien avec Thierry Prodhomme, scaphandrier ayant participé à l’atterrissage de PEACE MED, réalisé le 1 juillet 2022)., auxquels se sont ajoutés des plongeurs du PMCB assurant le suivi et, parfois, s’impliquant directement. Les travaux se déroulent dans des conditions relativement difficiles par manque de préparation des prestatairesBenjamin Cadville et al., « Rapport d’exécution de fin de travaux du décommissionnement de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans l’anse de Couronne Vieille à Martigues » (Parc Marin de la Côte Bleue publ, 2022).. Au-delà de ces aléas organisationnels, nous nous allons ici nous intéresser ici aux enjeux liés à l’ancrage des câbles, pendant le chantier et après celui-ci. 

Commençons par présenter schématiquement, le travail de décommissionnement. Celui-ci repose sur les étapes suivantes : les scaphandriers se rendent au point de coupe du câble, fixent de part et d’autre des bouées en surface permettant de le repérer, le tronçonnent avec une scie hydraulique (fig.10), et s’assurent de l’absence d’obstacle avant de remonter la portion de câbles à la surface (fig. 11). Alors, une extrémité du câble est remontée sur la barge de service, puis le câble est relevé de façon perpendiculaire au fond (fig. 12), c’est-à-dire que la barge avance à mesure que le câble est tracté, de sorte à éviter de le tirer et d’abîmer les fonds marins. Sur la barge, le câble est progressivement découpé en tronçons de 7 mètres, qui seront ensuite déposés le soir dans un conteneur (fig. 13). Les portions de câbles laissées sous les herbiers de Posidonie doivent pour leur part être ligaturées, pour éviter qu’elles ne se détoronnent, puis ancrées après sondage du substrat pour éviter que la houle ne vienne les soulever et créer alors des risques pour les écosystèmes sous-marins (fig.14)Synthèse des opérations décrites dans Cadville et al., « Rapport d’exécution de fin de travaux du décommissionnement de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans l’anse de Couronne Vieille à Martigues ».

Figure 10.
Scaphandrier manipulant une scie hydraulique. 
Crédit : PMCB 
Figure 11.
Câble passant sous un rocher. 
Crédit : PMCB 
Figure 12.
Barge se mettant à l’aplomb du câble pour le relever. 
Crédit : PMCB
Figure 13.
Tronçons de câbles déposés dans le conteneur. 
Crédit : PMCB 
Figure 14.
Câble ligaturé et ancré à la sortie d’un herbier de Posidonie. 
Crédit : PMCB

Le principal enjeu qui ressort des rapports de suivi de travaux et de suivi à six mois concerne la fixation des câbles restés à poste par les ancres. Dès le début du chantier, les ancres constituent un point de tension. L’usage d’ancres écologiques avait fait l’objet d’une âpre négociation entre le PMCB et Oinis :  

« Comme nous sommes dans un secteur rocheux, avec de l’herbier de posidonie, on a refusé cette solution, préconisée initialement par Orange, d’utiliser des corps morts et des chaînes. On est tombés d'accord sur des ancrages… au lieu de faire des scellements chimiques, scellés dans la roche, un peu comme les split d’escalade, le prestataire en charge des travaux a choisi des goujons d’ancrage inox, parce qu’il les avait déjà utilisés quand ils ont posé les câbles à Marseille et cela semblait convenir. Le Parc Marin était sceptique, nous avons aussi apporté notre propre matériel d’ancrage écologique. Ce sont des ancres à vis, ou des ancres à percuter. Les ancres à vis employées pour un substrat sableux, n’ont pas pu être utilisées parce qu’il n’y avait que de la roche. Mais sinon, dans les endroits caillouteux, c’est une ancre à percuter qui a permis de fixer les extrémités des câbles restant sur les fonds marins. Grosso modo, c’est une ancre-harpon, type fer à béton, qui est galvanisé, pour rester sous l’eau, avec une pointe en forme de harpon, qu’on plante à la masse dans le sol et qui est tout aussi efficace qu’un corps mort, qui est beaucoup plus durable et qui n’a aucun impact sous les fonds marins, ni un impact paysager sous-marin, non plus. » (Benjamin Cadville, chargé de mission Natura 2000 au PMCB, le 22 février 2021) 

Un moment âpre des négociations entre le PMCB et l’opérateur porte sur les moyens techniques à employer pour stabiliser les câbles. Ici, les expertises s’opposent entre les choix opérationnels mis en œuvre à quelques kilomètres et les attentes des écologues. Si le choix des ancres est au cœur des préoccupations des agent·es du PMCB, c’est qu’elles constituent un facteur clé de la réussite du démantèlement : celui-ci ne consiste pas uniquement à faire disparaître le câble du fond marin, mais également à maintenir certaines portions en place. Or le succès de ce maintien nécessite une prise en compte fine des substrats, des entités qui les peuplent, et des mouvements de la mer elle-même.  

Les suites du chantier vinrent confirmer les inquiétudes des écologues : au cinquième jour de travaux, un ancrage du câble Amitié lâche à cause de la houle. Le lendemain, les plongeurs passent 25 minutes à rechercher le câble, pour le retrouver écrasant des roches coralligènes et des herbiers de Posidonie (figure 15). Six mois plus tard, lors d’une inspection de suivi de travaux, les plongeurs constatent qu’une autre cheville goujon n’a pas résisté aux mouvements hydrodynamiques.  

Fig. 15. Câble sous-marin Amitié, déplacé par la houle pendant le chantier. 
Légende PMCB : « En haut, constat du Parc Marin de la Côte Bleue sur l’extrémité du câble AMITIE enroulé sur lui et sans ancrage apparent pour le fixer. En bas à gauche et droite, constat du Parc Marin de la Côte Bleue sur l’extrémité du câble AMITIE écrasant un récif Coralligène et de l’herbier de Posidonie. » Cf. Cadville et al., « Rapport d’exécution de fin de travaux du décommissionnement de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans l’anse de Couronne Vieille à Martigues », 13. 
Crédit : PMCB

Ces événements invitent à interroger la temporalité du démantèlement. Quand peut-on considérer celui-ci achevé ? Est-ce à la date de démantèlement ? Le chantier prend fin le 10 novembre, quand les 16 tonnes de câbles sous-marins sont envoyées au recyclage. Une piste alternative pourrait être de suivre les câbles et leurs aventures dans les usines de recyclage, pour comprendre comment les restes des infrastructures circulent et sont transformés. Mais nous pouvons aussi garder l’œil vissé sur l’anse de la Couronne Vieille, qui n’en avait pas tout à fait fini avec les câbles après le 10 novembre. Certaines portions furent laissées gisantes : le mauvais temps et les avaries techniques ont fait prendre du retard au chantier, deux sections de câbleIl s’agissait de15 mètres de câble armé et 25 mètres de cuivre enrobé d’une gaine de plastique.restent encore à l’eau lors du départ des ouvriers. De nouveaux travaux ont donc été menés en juin 2022 pour les retirer. Des traces de leur présence sont encore visibles dans les fonds marins, que ce soit en raison des tranchées creusées lors de leur pose, ou des lignes arasées entre les herbiers, qui disparaîtront lentement (fig. 15). Chacune de ces propositions ouvre ou ferme la temporalité de ce qui est entendu par démantèlement, et avec elles les multiples formes prises localement par l’héritage des câbles sous-marins. Ce que nous donnent en particulier à voir les enjeux d’ancrage des câbles sur lesquels cette section a principalement insisté, c’est l’horizon ouvert d’une surveillance et d’une maintenance des conditions de cohabitation entre les réseaux et les écosystèmes, au moins jusqu’à ce que les herbiers aient stabilisés et fait disparaître les restes infrastructurels qui les traversaient. 

Figure 16. À gauche, les tranchées creusées pour le passage des câbles. A droite les traces laissées au sein des herbiers de Posidonie.
Cf. Cadville et al., « Rapport d’exécution de fin de travaux du décommissionnement de 4 câbles sous-marins désactivés de la société Orange dans l’anse de Couronne Vieille à Martigues », 8‑9.  
Crédit : PMCB 

Conclusion

Si cet article revient avec tant de détails sur le démantèlement des câbles de l’anse de la Couronne Vieille, c’est qu’il s’agit d’une situation rarement documentée, un cas limite au regard de la littérature et des rapports d’experts qui présentent généralement la fin de vie des câbles comme une affaire maîtrisée et réglée. Commençons par rappeler que la gestion de la fin de vie des câbles est peu suivie à l’échelle globale : il n’existe pas de réglementation internationale déterminant les conditions de leur désactivation, et les acteurs privés qui recensent la mise en activité des nouveaux câbles ne suivent pas systématiquement le devenir des câbles retraités, ils se contentent de signaler qu’ils ne fonctionnent plus, et les désactivent. Des horizons de régulation existent comme en France, où depuis 2004 les câbles désactivés doivent être retirés et le milieu restauré dans son état initial. 

Selon les situations géographiques, le devenir des câbles peut varier fortement. Prenons trois exemples : au sud de Marseille, entre les plages du Prado et le Parc National des Calanques, les anciens câbles sont pour la très grande majorité laissés au fond de l’eau car les opérateurs craignent d’endommager d’autres câbles en activité s’ils les retirentEntretien avec Alain Ofcard, directeur adjoint, et Isabelle Charbonnier, chargée de mission projets structurant, Direction Départementale des Territoires et des Mers des Bouches du Rhône, le 4 décembre 2024.; en mer Rouge, dans les années 2000, les remorqueurs chargés d’installer des nouveaux câbles commencent par crocheter ceux qui se présentent sur leur route, les coupent en deux, et les rejettent à la mer pour faire de la placeEntretien avec Pierre Mallet, capitaine de remorqueur retraité, le 3 décembre 2024.; en 2009, à Port Erin sur l’Île de Mann, des anciens câbles ont été récupérés pour en faire des récifs artificiels visant à éloigner les pêcheurs et à protéger la biodiversitéStarosielski, The undersea network., mais faute d’accord sur le financement à long termes de ce projet, ces récifs artificiels n’ont jamais été mis à l’eauCorrespondance avec Andy Read, chargé du projet Port Erin Cable Reef, Isle of Man Gov, novembre 2023.. Ainsi, lorsqu’on prête attention aux situations locales, chaque configuration de démantèlement semble être un cas limite, dont il est difficile de tirer de grandes généralités. 

Au regard de cette diversité de situation, je propose de retenir trois enseignements de l’expérience du Parc Marin de la Côte Bleue. D’abord, ce cas donne à voir en pratique l’hétérogénéité des ruines réticulaires, demandant un travail de délimitation des portions à démanteler, qui s’articulent à de multiples enjeux environnementaux et réglementaires, redéfinissant des entités hybrides câbles-herbiers, et laissant inconnu ce qu’il se passe à l’autre bout du réseau, en Tunisie, au Maroc, en Algérie et en Espagne. Les défis propres au démantèlement de ces ruines se présente avant tout comme un problème se posant sur le littoral. Ensuite, le succès du démantèlement des câbles de l’anse de la Couronne Vieille tient en grande partie aux compétences des acteur·ices en charge de cet espace. Détenteurs de savoirs environnementaux, de connaissances administratives, capables d’assurer la surveillance d’un chantier sous-marin, ils et elles parviennent à surmonter les multiples difficultés auxquelles la tâche les confronte. De nombreux autres espaces ne sont pas susceptible de bénéficier de la même attention. Enfin, cette enquête met en évidence la question de la temporalité du démantèlement, qui semble ne jamais tout à fait prendre fin, gardant au fond de l’eau des ruines de ruines, devant à leur tour être surveillées et maintenues face à la houle. 

Comment citer ce texte

Clément Marquet, «Démanteler des réseaux en ruine: Câbles sous-marins et biodiversité en mer Méditerranée», Les Temps qui restent, n°3, octobre-décembre 2024.