Pas touche ?
Éthique du tact et clinique du presque-rien

Comment faire s’ouvrir sans les froisser des subjectivités qui s’écartent de la norme ? En faisant preuve de tact ! Sandrine Detandt propose ici une recension du livre de Fabrice Bourlez qui vient de paraître aux Presses Universitaires de France, Tacts. Remanier la psychanalyse avec les féministes et les queers, et dans lequel celui-ci s’interroge sur les conditions pour la psychanalyse d’être à la hauteur des enjeux contemporains.

À une époque où la psychanalyse se trouve sommée de répondre aux interrogations vives que lui adressent les pensées féministes, queers, postcoloniales, mais aussi les mutations contemporaines des formes de vie, il est précieux de voir paraître un ouvrage qui ne cherche ni à sauver la tradition ni à s’en départir totalement. Le livre de Fabrice Bourlez, Tacts. Remanier la psychanalyse avec les féministes et les queers (P.U.F., 2025), s’inscrit dans cet entre-deux exigeant : celui d’un déplacement, d’un glissement progressif, d’une écoute qui refuse de se clore trop vite. Ce compte rendu se propose de parcourir les lignes de force de ce texte en gardant à l’esprit ce que le mot « tact » engage : une éthique du frôlement, de la retenue, mais aussi du trouble productif.

Dès l’introduction, Bourlez mobilise une métaphore athlétique pour penser la question de la position, de la posture ou de l’état de la psychanalyse : serait-elle athlétique, aérobique, rance, comme les vestiaires des salles de clubs de gym, ou transformative, comme lors des JO 2024 ? Une telle ouverture annonce d’emblée la difficulté d’approcher ce qui, dans la psychanalyse contemporaine, continue de résister à toute définition stabilisée.

Nos corps parlants et parlés sont malades de mots, d’histoires, de doutes, de tergiversations, d’idées obsédantes qui agissent et nous font agir envers et malgré nous. De quels mots et maux traite-t-on alors dans le contemporain ?

La question fondamentale au cœur de cet ouvrage – qui lui permet d’ouvrir une troisième voie au sein de la psychanalyse contemporaine – tient à la position qu’il prend au sein des débats sur le sens et l’avenir de la discipline aujourd’hui. En effet il ne se range ni du côté d’une critique systématique des limites d’une psychanalyse qui se serait enfermée dans un nouveau dogmatisme alors qu’elle avait fait de la mise en question de tout dogmatisme le fondement même de sa pratique ; ni d’une entreprise pour prouver qu’une lecture rafraîchie et plus attentive des textes canoniques permettrait de sortir des impasses dans lesquelles cette tradition semble nous conduire.

L’auteur reprend ici le métier à tisser de la haute couture, métaphore familière dans son œuvre, pour penser le travail analytique avec les sujets contemporains, dans une écoute de la métamorphose, des disruptions, mais aussi de ce qui fait encore écho. De même qu’un carré de soie Hermès exige des centaines d’heures pour décortiquer un motif complexe, de même la clinique contemporaine requiert du temps, du doigté, de la précision.

On pourrait y voir une forme d’amour courtois : remettre la clinique au centre relève alors d’une disposition chevaleresque, où les sentiments, les croyances et les valeurs cèdent devant l’éthique suprême de s’en remettre à l’Autre de la clinique, au prix parfois de grands renoncements.

Psychanalyse mineure – la marge qui renseigne le centre

La perspective adoptée dans cet ouvrage s’inscrit dans un héritage deleuzien et foucaldien : celui d’une pensée qui part des marges. Ce sont ces peuples mineurs qui, en repolitisant ce que le champ majeur tient pour évident, font entendre la langue autrement. Ces sujets sans place assignée, souvent disqualifiés avant même d’avoir parlé, imposent de nouvelles formes d’écoute. La clinique qui se dessine ici ne cherche plus à universaliser des modèles, mais à se rendre disponible à des sonorités queers, à des temporalités trans, à des existences hétérogènes.

L’auteur montre que les rythmes de vie des analysant·es d’aujourd’hui ne s’accordent plus à la cadence ternaire du mythe œdipien (on se rappellera du slogan de la manif pour tous « Un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants »). Il devient alors impératif de sortir d’une neutralité prétendue, afin d’interroger les soubassements de la discipline, ses accords traditionnels, ses harmonies toutes faites. Il ne s’agit pas de proclamer une nouvelle orthodoxie, mais de mettre à nu les conditions d’une écoute sobre, consciente de ses implications politiques.

Le tact et le cadre : interne et métacadre

Aujourd’hui, les frontières n’ont jamais été aussi – illusoirement ? – poreuses entre les sujets. L’on peut se renseigner sur son thérapeute, lui espérer des qualités spécifiques, il ou elle sera safe, racisé·e, queer friendly,…. Les psys ne manquent pas pour leur part de glisser sur les vagues de l’hypernominationDetandt, S., Pezeril, C. et Demart, S., « Tou·tes Queer, Mais Certain·es Plus Que D’autres. » Cahiers de psychologie clinique, 59(2), 283-302, 2022. https://doi.org/10.3917/cpc.059.0283. Spécialistes en tous genres que nous sommes, nous nous positionnons dans le social et sur nos sites fleurissent des descriptifs de tout ce que l’on entendrait si bien. Or, cette position n’est pas sans effet sur nos pratiques, d’où l’on parle bien sûr, mais d’où nous sommes entendu·e·s et perçu·e·s aussi. Car si l’on manque de tact en dehors de ladite cure, en affirmant ses conceptions politiques, ses opinions intellectuelles ou la simple représentation de son métier, il n’est pas du tout certain que cela soit sans conséquence sur la manière dont on procède, dont on interprète et dont on écoute en séance.

C’est donc à partir du tact que Bourlez propose de sortir de cet écueil potentiel entre notre cadre interne et son cadre externe, voire son métacadre. Il s’autorise alors à nous proposer le tact comme l’un des principaux ressorts de la sobriété analytique qui est à distinguer de la neutralité bienveillante du psychanalyste, qui vaut, la plupart du temps, comme une sorte de caution conservatrice, comme un évitement habile de tout positionnement et d’engagement de la part des praticien·nes, ou comme promesse d’un silence qui souscrit à un universalisme discriminant. La sobriété de la technique rend alors compte autrement de ce qui se passe dans le cadre de ladite cure : « elle ne justifie pas la dépolitisation ; elle s’attache plutôt à trouver la mesure et le doigté, à détailler les rouages et les frottements, à cerner les résistances et les mouvements, devant les affres d’un sujetBourlez, ibid., p. 58 ».

Il ne s’agit donc pas simplement de tact, mais aussi de la praxis psychanalytique elle-même. Faire en sorte que la pratique, le savoir et le discours psychanalytiques soient directement connectés au réel du sujet n’implique pas qu’ils soient déconnectés de la réalité qui caractérise nos sociétés contemporaines.

Et c’est ici probablement que l’auteur s’autorise à la critique aiguisée de ce qui au sein de la psychanalyse a fini par devenir sourd aux bruits du monde.

D’ailleurs, en le lisant, on y retrouve finalement et paradoxalement peut-être ce qu’il y a de plus fidèle à Freud dans sa démarche originaire. La psychanalyse n’est en effet pas née dans le confort du savoir, mais dans un trouble du regard. Freud s’est confronté à l’hystérie comme à une scène vivante, un corps parlant sans mot, un symptôme, comme mise en altérité de celui ou celle qui regarde — et altération de celui qui écoute. C’était une clinique du surgissement, où le symptôme éclatait comme une énigme à ciel ouvert. L’hystérique, par sa théâtralité, défiait la science, forçait l’attention, produisait de l’étonnement. Elle posait une question sans mots : que me veut ce corps ?

C’est de là que vient la psychanalyse : du besoin de répondre à une surprise. Une surprise qui déplace. Une surprise qui oblige à écouter autrement. Mais aujourd’hui, cette surprise ne se manifeste plus par des convulsions spectaculaires. Elle ne frappe plus fort ; elle souffle bas. Elle ne se montre pas, elle s’infiltre. Elle se glisse dans les marges, les silences, les corps fatigués de parler. Alors comment faire place à ce qui étonne encore, sans fracas ?

C’est tout l’enjeu de cet ouvrage, nous semble-t-il. Le tact s’apparente à une surprise mineure : une secousse douce, une altération presque imperceptible de la trame clinique. Moins l’éclair que l’infiltration lente du trouble.

Reprenons ici la topographie établie par Charlotte PezerilPezeril, C. (2014), « La sociologie : une fabrique de la surprise ? », in J.-P. Delchambre (éd.), Sociologue comme médiateur ? Accords, désaccords et malentendus (1‑). Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2019. https://doi.org/10.4000/books.pusl.4764, elle-même inspirée de Jean-Pierre Delchambre, sur la triade de la surprise en sociologie. Elle y propose quatre temps.

  • La prise : C’est le moment où quelque chose accroche. Un mot, un silence, un regard qui bifurque. Un indice, comme une poussière dans la machine. C’est l’instant où le sujet, ou l’analyste, est saisi par quelque chose sans pouvoir encore le dire. Une prise qui n’est pas une capture, mais un éveil. Comme une énigme qui cherche une bouche.

  • La déprise : Elle vient juste après. C’est le lâcher-prise théorique, la suspension du savoir acquis, des certitudes de la méthode, de l’habitus du praticien. C’est aussi la désorientation volontaire du thérapeute, sa manière de faire un pas de côté. Car pour que la surprise émerge, il faut accepter de ne plus maîtriser, se laisser altérer, à nouveau.

  • La méprise : C’est la surprise ratée. Celle qui glisse entre les doigts. Le malentendu, le refus, l’esquive, le silence trop bruyant. Ce sont les envers fertiles de l’écoute, les rebuts qui renseignent sur les normes, les rapports de pouvoir, l’irreprésentable. En psychanalyse, la méprise est souvent le vrai lieu de la vérité.

  • La reprise : Revenir sur ce qui a surpris. Rejouer, ré-entendre, re-questionner. Faire travailler ce qui a déstabilisé. La surprise devient alors un matériau clinique. Elle cesse d’être un événement pour devenir une trace. Elle se transforme en trajet, en travail. Elle élabore, plutôt qu’elle n’éblouit.

A suivre Bourlez, le tact, dans tout cela, ne serait pas un savoir-faire poli. C’est l’art d’habiter ces quatre moments sans s’y installer. Une manière de pratiquer la psychanalyse non plus comme une doctrine, mais comme une disponibilité à l’inattendu.

Et aujourd’hui, dans une époque saturée de voix, de prises de positions, de réponses trop rapides, Bourlez rappelle qu’écouter avec tact, c’est retarder l’interprétation. C’est résister à la tentation de comprendre trop vite. C’est aussi réinventer l’éthique analytique dans des contextes queer, féministes, postcoloniaux, où les subjectivités ne demandent pas à être lues, mais à être approchées.

Oui mais ça, on l’a toujours fait – écouter le sujet (de l’inconscient)

Nous en revenons donc à ce qui, de cette disposition à la déprise, au-delà de nos techniques, nous enjoint à ce que notre métapsychologie fait peser comme préconceptions politiques. A quoi ferions-nous donc parfois les sourdes oreilles ?

Ce que Tacts met en lumière, c’est une béance au cœur de la psychanalyse : non pas simplement ce qui aurait été omis, mais ce qui a été organisé pour ne pas être entendu. Comme le montre Nancy TuanaTuana, N., « The Speculum of Ignorance: The Women’s Health Movement and Epistemologies of Ignorance », Hypatia, 21: 1-19, 2006. https://doi.org/10.1111/j.1527-2001.2006.tb01110.x, après Robert ProctorProctor, Robert N., Cancer Wars : How Politics Shapes What We Know and Don’t Know about Cancer, New York, BasicBooks, 1995., l’ignorance n’est pas l’absence de savoir mais une construction active : elle se fabrique, se transmet, se défend. Certaines voix — hystériques, queers, racisé·e·s, précaires, non conformes — n’ont pas été écoutées, non parce que la psychanalyse l’aurait délibérément refusé, mais parce que ses catégories dominantes ont parfois reconduit, à leur insu, des angles morts historiques. Ce n’est pas tant la psychanalyse en soi qu’un certain usage d’elle, un certain style de réception, qui a contribué à figer les contours du dicible.

Au lieu d’être un lieu d’hospitalité du langage, la cure a pu, dans certains cas, devenir le lieu d’une écoute formatée, d’une compréhension déjà trop prête — un savoir sans surprise. Aveugle à ce qui déjoue les grilles classiques de lecture : jouissances non reproductives, sexualités dissidentes, expériences subjectives qui ne se déclinent pas dans la langue de l’Œdipe.

Par « subjectivités non œdipiennes », on n’entend pas ici des identités figées (être trans ou queer ne garantit en rien une sortie de l’Œdipe), mais des formes de vie ou de désir qui, parfois, par leurs effets de déplacement, troublent le cadre fantasmatique œdipien. Comme le rappellent Deleuze et GuattariDeleuze, G. et Guattari, F., L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972., le désir non œdipien n’est pas l’apanage de catégories sociales, mais un agencement possible — toujours instable, souvent éphémère, parfois subversif. Ce sont ces lignes de fuite, ces perturbations locales de l’économie œdipienne que la cure peut apprendre à reconnaître, à accueillir, sans les rabattre immédiatement sur ses modèles de référence.

Dans cette perspective, Bourlez invite à ce que l’on pourrait appeler une psychanalyse décoloniale du regard — non au sens d’un rejet de l’héritage psychanalytique, mais d’un déplacement critique de ses automatismes de lecture. Il ne s’agit plus d’interpréter les marges à partir du centre, mais de se laisser déplacer par ce qu’elles rendent visible. Reconnaître que notre regard clinique est situé, traversé d’ignorances fabriquées, c’est déjà amorcer un geste de décolonisation : desserrer l’étau des évidences culturelles, pour laisser place à d’autres façons d’entendre. Le silence de l’analyste, dans cette configuration, n’est pas neutre : il peut aussi bien être accueil que reconduction d’un refoulé collectif.

Ce que propose Bourlez, c’est de retourner le regard. Non plus seulement scruter ce que le patient refoule, mais interroger ce que la psychanalyse elle-même a refoulé. Et dans cette inversion du dispositif, dans cette relance du questionnement, surgit la figure du « paria » — au sens de Hannah ArendtArendt, H., La tradition cachée : le Juif comme paria, Christian Bourgeois éditeur, Paris, 1987.ou d’Achille MbembeMbembe, A., Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013.: celui qu’on ne veut pas voir, celle dont la voix est disqualifiée avant même d’avoir parlé. Bourlez nous invite alors à penser ces subjectivités « intouchables », au sens littéral comme symbolique, qui ont toujours été tenues à distance par le regard clinique ou ramenées de force dans un cadre théorique trop étroit pour les accueillir.

La question devient alors : qu’est-ce qu’une psychanalyse – qui accepte finalement sa vraie identité incertaine : celle de ne pas savoir ? Une psychanalyse qui ne chercherait plus à intégrer l’Autre dans ses catégories, mais qui accepterait d’être désorientée, déplacée, surprise par ce que l’Autre fait apparaître — de l’inouï, de l’impropre, de l’intraduisible. Car il y a une surprise politique à entendre ces voix-là : celles des genres fluides, des plaisirs non normés, des corps migrants, des désirs illisibles. Il ne s’agit pas de produire de nouvelles catégories, mais de désapprendre les anciennes, de créer un espace d’écoute avec suffisamment de tact pour que quelque chose puisse advenir sans être capturé immédiatement dans un langage théorique déjà prêt à l’emploi.

Nous est alors proposée non pas une psychanalyse « inclusive » — terme souvent tiède — mais une psychanalyse traversée, altérée, mise à nu par ce qu’elle a longtemps contourné. L’inclusivité, en effet, lorsqu’elle n’est pas interrogée, risque de reconduire la norme en la peuplant simplement de figures nouvelles — sans questionner les formes d’exclusion structurelles sur lesquelles elle repose. Ici, c’est à une psychanalyse vulnérable, poreuse, traversée par les bruits du monde qu’on a à faire. En ce sens, le tact serait peut-être le seul lieu possible de jonction entre une psychanalyse en quête de ses refoulés, et des études de genre en quête de formes de vie encore à naître.

Plus qu’une différence spatiale entre la psychanalyse et les études de genre — qui regarde ?, depuis où ?, avec quels cadres ? —, il y a peut-être une différence de temporalité. Deux régimes de sensibilité au réel : la psychanalyse travaille avec des récits qui habitent le sujet, des figures partagées ou intimes, anciennes ou inventées, qui soutiennent une part de son rapport au désir et à la souffrance. On peut les appeler mythes, fictions, fantasmes — individuels ou collectifs. Ces récits cristallisent parfois des formes de pouvoir, de filiation ou de répétition, mais ils ne sont ni figés, ni fondateurs : ils se déplacent, se réécrivent, se rêvent à nouveau.

Les études de genre, quant à elles, s’attachent à imaginer des narrations encore à venir, à faire émerger des devenirs inouïs, à expérimenter des formes de vie hors des cadres narratifs normatifs.

Il ne s’agit pas ici d’opposer deux approches, mais de voir comment elles peuvent se frôler, se toucher, se décaler l’une l’autre. C’est peut-être cela, le rôle du tact : permettre que l’on entende ce que certains récits — y compris psychanalytiques — empêchent parfois de penser, tout en accueillant ce que l’utopie, l’invention, la fiction politique peuvent commencer à dire.

Et maintenant ? Que faire de cette psychanalyse que l’on ne peut ni rejeter totalement ni maintenir en l’état ? Peut-être faut-il entendre que ce n’est pas d’une refondation qu’il s’agit, mais d’un déplacement, d’un glissement progressif. Car si l’analyse ne peut plus faire comme si elle ignorait les critiques des pensées féministes, queers, décoloniales, alors elle doit apprendre à se laisser traverser. À renoncer à l’universalité de ses grammaires. À s’émouvoir de ses propres impasses. À accepter, aussi, de devenir praticable autrement.

Le tact, ici, devient la clé d’une mutation : un savoir du presque-rien, du pas-tout, de l’écoute en suspens. Il n’y a pas de théorie prête à l’emploi, pas de grille à appliquer — mais des interstices à ouvrir. Il ne s’agit pas de redéfinir un cadre, mais d’apprendre à le faire trembler sans le faire tomber. C’est peut-être ça, la vraie tâche clinique d’aujourd’hui : ne plus interpréter pour expliquer, mais interpréter pour laisser résonner. Pour créer des écarts, des moments de friction féconde.

Cette écoute ne pourra advenir qu’à condition de reconnaître ses non-dits, ses exclusions, ses oublis fabriqués. Alors seulement, quelque chose pourra émerger. Non pas une vérité. Mais un lieu. Un lieu où le symptôme ne soit plus à corriger, mais à accompagner. Un lieu où le sujet n’ait pas à rentrer dans la norme pour être reconnu. Un lieu où l’inconscient ne soit pas assigné à comparaître, mais invité à se risquer.

Car ce n’est pas une « nouvelle psychanalyse » qui est proposée, c’est une psychanalyse rendue à son inactualité radicale : c’est-à-dire à sa capacité, non pas à parler de ce qui est, mais à faire advenir ce qui pourrait être. Et pour cela, il faut du tact.

Du tact pour ne pas tout comprendre. Du tact pour désapprendre ce que l’on croyait acquis. Du tact pour frôler l’inouï. Et du tact — enfin — pour ne pas refermer trop vite ce qui vient juste de commencer à se dire.

Comment citer ce texte

Sandrine Detandt , « Pas touche ? Éthique du tact et clinique du presque-rien  », Les Temps qui restent, Numéro 5, Printemps (avril-juin) 2025. Disponible sur https://lestempsquirestent.org/en/numeros/numero-5/pas-touche-br-pour-une-psychanalyse-avec-tact-br