Le philosophe Matthieu Renault a édité récemment un manuscrit étrange(note:Matthieu Renault, Maîtres et esclaves. Archives du Laboratoire d’analyse des Mythologiques de la Modernité, Paris, les presses du réel, 2024.). Ce document n’a pas d’auteur, mais un énigmatique agent collectif d’énonciation, attribué à un « Laboratoire d’analyse des Mythologiques de la Modernité » dont la composition et le mode de fonctionnement nous demeurent inconnus. Il n’a pas non plus de statut textuel clair : archive du passé, texte venu de l’avenir, c’est de surcroît un faux, texte apocryphe à l’imputation douteuse d’un « pseudo-K », plagieur d’un certain Kojève lui-même identifié dans les annales pour avoir pastiché un certain Hegel, auquel il aurait extorqué l’histoire d’un mythe racontant l’origine et le sens de l’histoire au terme de laquelle ce mythe lui-même deviendra savoir : fin de l’histoire comme histoire mythique, fin d’un mythe historique devenu savoir d’une histoire non mythique, ombre projetée d’une histoire qui, tant qu’elle n’est pas finie, sera indissociable des mythes dans lesquels se la racontent celles et ceux qui la font. Ce document frauduleux n’a pas davantage de datation certaine ; tout au plus croit-on savoir qu’il fut commis peu avant l’effondrement écocivilisationnel qui, bien différent de la fin de l’histoire prophétisée jadis par pseudo-K, rejeta jadis dans une ancestralité quasi-mythique toutes sortes de créatures et d’identités mystérieuses, de langues et de rituels obscurs, de façons de parler et d’écrire devenues peu intelligibles, ce précieux docum…
Quel mythe était la philosophie avant la fin du monde ?
Le philosophe Guillaume Sibertin-Blanc présente ici le livre de Mathieu Renault, Maîtres et esclaves. Archives du Laboratoire d’analyse des Mythologiques de la Modernité (Paris, Les Presses du réel, 2024). Cet étrange essai d’anthropologie-fiction, entre Jorge Luis Borges et Claude Lévi-Strauss, déchiffre les fragments de notre propre civilisation déjà disparue en faisant du thème de la « lutte du maître et de l’esclave » le mythe matriciel de la Modernité, celui par lequel à son insu elle aura précipité sa propre perte…