On entend ordinairement par « théâtre contemporain » les formes scéniques qui correspondent globalement à la période allant de la seconde moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours (l’extrême ou l’ultracontemporain). À ce sens chronologique on peut ajouter un sens générique, qui rend compte de ce qui unit d’un point de vue esthétique et socio-historique des formes scéniques particulièrement hétérogènes, et que l’on peut définir d’abord de façon négative (à la façon dont les philosophes Bruno Latour et Isabelle Stengers par exemple définissent les Contemporains par contraste avec les ModernesVoir par exemple Isabelle Stengers, « Avec et après l’enquête : comment passer des modernes aux contemporains ? », in Antoine Hennion (dir.), « Bruno Latour, pragmatisme et politique », Pragmata 2023-6, p. 425-441. https://revuepragmata.wordpress.com/wp-content/uploads/2023/04/pragmata-2023-n6-14-isabelle-stengers.pdf.). Sont contemporaines les formes scéniques actuelles qui se distinguent de l’esthétique moderne (dite aussi « dramatique ») caractérisée par le régime de figuration de type illusionniste, où la fiction (l’intrigue, la fable), dépeignant la nature humaine, se veut réaliste et où l’artificialité du théâtre doit être, idéalement, effacée. Cette distinction s’opère dans les formes scéniques actuelles plus ou moins volontairement, selon des techniques différentes et à des degrés différents.
Héritant du théâtre moderne et des idéaux de la modernité, les formes scéniques jouées sur les scènes européenne ou extraeuropéenne actuelles ne sont peut-être pas contemporaines au même degré. Il semble y avoir eu différentes façons d’hériter de l’illusionnisme et du modernisme sur la scène contemporaine, en Europe et ailleurs, façons qui vont de la critique de la représentation mimétique jusqu’à l’acceptation du caractère mimétique de tout spectacle et l’invention de nouveaux types d’action dramatique.
Du premier côté de ce spectre se situent les formes scéniques prétendant à l’authenticité, dont le modèle sont les performances antimimétiques ou antithéâtrales. Ces formes restent prises dans l’illusionnisme en ce qu’elles exposent, par une sorte de naturalisme inversé, l’artificialité du théâtreJosette Féral, « Le signe en procès : l’expérience du théâtre naturaliste. », Les Cahiers Naturalistes, 56, 1982, p. 128.. Elles déconstruisent sous les yeux du public les conventions traditionnelles. Cette catégorie recouvre aussi bien, par exemple, les premières performances de Romeo Castellucci (déstabilisant, via la mise en scène par exemple d’enfants ou d’animaux censés incarnés le réel, l’illusion de la représentation) ou bien, d’une toute autre manière, les spectacles de Jérôme Bel (qui déspectacularisent la représentation).
D’autres s’en affranchissent, non pas en déconstruisant les signes du drame mais en montrant que réel et fiction reposent sur des représentations, en déradicalisant autrement dit l’opposition entre l’un et l’autre. Ainsi les formes scéniques qui, pouvant prendre pour support aussi bien une réflexion d’ordre anthropologique, un texte ou un fait divers, « se présentent, s’argumentent, comme des espaces incertains, tremblants, fragiles, précaires entre le “réel” ou plutôt les représentations qu’on en a – personnellement ou collectivement – et la fiction, autrement dit une représentation alternative du mondeBénédicte Boisson, Laure Fernandez, Éric Vautrin, Le cinquième mur. Formes scéniques contemporaines et nouvelles théâtralités, Dijon, Les Presses du réel, 2021, p. 87. ». Pour reprendre quelques-uns des exemples analysés par les auteur.ices de l’ouvrage cité : Milo Rau, Tiago Rodrigues ou encore Philippe Quesne.
D’autres encore, les plus « terrestres » sans doute, relèvent d’un régime de figuration principalement performatif et déploient sur la scène un monde dramatique qui coïncide avec l’expérience censée être vécue par le public. Dans ces performances, le réalisme n’est pas de mise, ni la réflexion sur ce qui est réel ou fiction. Elles instaurent des formes de présences visant à capter sensoriellement le.la spectateur.ice sans prendre la peine de jouer avec les restes d’un quatrième mur, en inventant d’emblée d’autres conventions et d’autres symboles. Ainsi le spectacle Umwelt de Maguy Marin, décrit dans une précédente chroniqueDéborah Bucchi, « Pendant ce temps la Terre soufflait (Sur Umwelt de Maguy Marin) », Les Temps qui restent, Numéro 2, Été (juillet-septembre) 2024., dont on avait cependant montré qu’il héritait d’une conception moderne du tragique et de la catastrophe, ou encore les expérimentations chorégraphiques de Cindy Van Acker et la danse Gaga d’Ohad Naharin.
Toutes ces formes scéniques témoignent moins du passage accompli du moderne au contemporain que d’un processus non linéaire et hétérogène qu’on pourrait appeler de « démodernisation » ou de « contemporanéisation ».
Je voudrais aborder le cas d’un spectacle dont la nature esthétique est problématique et que l’on peut lire comme une forme d’héritage possible de la modernité en contexte contemporain : Marius de Joël Pommerat, représenté en décembre 2024 à la Maison de la Culture de Bobigny. Ce spectacle repose essentiellement sur un régime de figuration de type illusionniste. Il met en scène en effet les personnages de l’histoire de Pagnol dans un cadre réaliste. Dans quelle mesure ce spectacle reposant a priori sur une mise en scène moderne traditionnelle est-il « contemporain » ? Et en quoi est-il comparable, comme l’indique le descriptif, à un « conte » ? Cette expérience me donnera l’occasion de prolonger la réflexion, initiée dans la chronique précédente, sur l’ontologie des êtres de théâtre et sur ce qu’ils nous font, en tenant compte de la temporalité trouble de toute réception, faite d’allers-retours entre le moment de la représentation et les multiples étapes de son incorporation. La mise en scène de Pommerat se déploie dans le jeu de résonnances et de réminiscences qu’elle crée avec la pièce de Pagnol. Cela me permettra aussi de poursuivre les notes que je propose au fil de cette chronique sur la manière dont les « temps modernes » se défont sur les scènes de théâtre contemporaines et peuvent se défaire dans l’acte d’interprétation – car on ne sort pas des temps modernes dans une temporalité qui serait elle-même moderne.
Marius
Créée par Marcel Pagnol en 1929, la pièce de théâtre Marius a été adaptée au cinéma par Alexander Korda en 1931. Le film constitue la première partie d’une trilogie qui se poursuit avec Fanny et César. Les trois personnages et la ville de Marseille sont au cœur de cette fresque tendre et dramatique, mélodramatique, de liens familiaux et affectifs entre des êtres appartenant à un milieu populaire. Rappelons brièvement le cœur de l’histoire de Pagnol que Joël Pommerat reprend. Marius travaille avec son père dans un bar, le Bar de la Marine, sur le port de Marseille. Il aime Fanny, qui vend des coquillages tout près du bar, et Fanny l’aime depuis toujours. Mais Marius aime surtout le grand large. Fanny le sait, qui décide de mentir pour le laisser partir et à contre-cœur d’épouser le riche et vieux Panisse. Appelé par la mer, aidé par Fanny, Marius abandonnera les siens. L’histoire de ces gens ordinaires aux affects profonds était conçue par l’écrivain provençal à destination d’un public parisienJe reprends et résume dans la fin de ce paragraphe certaines des analyses développées par Martina Moeller dans son article « Le mythe de Marseille dans le film Marius (1931). L’influence du réalisateur et des décorateurs germanophones ». Marseille. Éclat(s) du mythe, édité par Véronique Dallet-Mann et al., Presses universitaires de Provence, 2013, https://doi.org/10.4000/books.pup.23187.. Comme l’explique Martina Moeller, l’adaptation filmique de Korda, qui mythifie la ville de Marseille, conservait la nature théâtrale de l’histoire originale : elle mettait l’accent sur les dialogues et la gestuelle des personnages et dramatisait les émotions figurées par les corps à travers des prises longues, dans le « style du tableau » du cinéma allemand, et à travers une mise en scène « statique », qui rompait avec le style hollywoodien de l’époque.
Dans la mise en scène de Pommerat, les personnages marseillais sont incarnés par des comédiens professionnels, mais aussi par d’anciens détenus de la prison d’Arles. Cela, on l’apprend en lisant le programme (notamment l’entretien avec le metteur en scène) ou par les critiques publiées sur les sites de théâtreVoir la belle recension d’Eric Demey, « Avec Marius, Joël Pommerat pique au cœur », publié le 29 novembre 2024 : https://sceneweb.fr/marius-de-joel-pommerat/.. Le court descriptif du spectacle le laisse simplement imaginer, qui mentionne seulement que la pièce a été « présentée dans une première version en milieu carcéral ». Il est donc tout à fait possible de passer à côté de cette information. Rien par ailleurs ne vient dramatiser l’origine du spectacle et des comédien.es. À la différence des spectacles de Jérôme Bel, où le spectacle est déspectacularisé par la mise en scène d’interprètes non professionnels, ce qui est déspectacularisé, chez Pommerat, c’est bien plutôt la mise en scène d’anciens détenus. Il semble d’ailleurs que tout ce qui pourrait référer à la vie des interprètes soit mis en sourdine au profit de l’histoire racontée ; que si le réel affleure (et il affleure dans les rires et sourires complices des comédien.es, en deçà du jeu), c’est accidentellement, de façon contingente, sans que cela vienne briser la fiction.
Il s’agit d’ailleurs moins d’une mise en scène du texte de Pagnol que d’une réécriture modifiant presque intégralement le texte original. Plusieurs ateliers ont eu lieu avec les détenus de la Maison Centrale d’ArlesVoir l’entretien de Joël Pommerat avec Hugues le Tanneur pour le Festival d’Automne 2024, « Venir dire son mot dans le monde. Joël Pommerat autour de Marius », à l’adresse suivante : https://www.mc93.com/journal/venir-dire-son-mot-dans-le-monde.. Le contexte particulier du milieu carcéral a servi de matériau à la recréation : c’est la question de la fuite, du désir d’évasion, l’abandon de celles et ceux qu’on aime qui sont au centre de l’action, comme ils le sont dans l’histoire originale. Aussi peut-on comprendre le déplacement du cadre dramatique. Utilisant les contraintes matérielles de l’espace théâtral, le metteur en scène évince ces morceaux du port de Marseille que le film faisait apparaître, pour figurer dans les limites de la boîte noire l’enfermement carcéral. On comprend à rebours que la fiction est créée à partir de la vie des interprètes. On comprend aussi que leur corps, leur carrure, leur accent, leur phrasé donnent vie aux êtres mythiques de la fiction marseillaise que le film de Korda a cristallisés, notamment grâce au jeu des vedettes qui les ont incarnés.
On pourrait faire une enquête pour savoir ce que le jeu justement a fait aux détenus, comment il a participé de leur vie pendant leur incarcération et après (Jean Ruimi par exemple, qui joue César dans la pièce, fait maintenant partie de la Compagnie Louis Brouillard de Joël Pommerat) ; pour savoir aussi ce que le spectacle a eu comme effets sur les détenus de la prison des Baumettes à Marseille où il a été représenté. Ce n’est pas l’objet de cette courte chronique. Il n’est pas question non plus de revenir sur les circonstances qui ont poussé Joël Pommerat à travailler avec ces détenus (il s’agissait au départ d’un désir de Jean Ruimi, alors incarcéré à la Maison Centrale d’Arles), ni sur les différents intermédiaires rendant possible cette rencontre ou sur les différentes étapes de ce travail initié en 2014. Il s’agit seulement de revenir sur quelques effets, affectifs et imaginaires, du spectacle.
L’éviction de Marseille et de la mer est frustrante. Le désir de fuite n’est plus lié à un espace. L’appel n’est plus cosmique. Ses raisons deviennent sociologiques. Manque aussi la sensorialité du bar masculin du film de Korda, où coule l’alcool et où les hommes laissent transpirer parfois malgré eux leurs affects. Dans la mise en scène de Pommerat en effet, Marius ne travaille plus dans un bar mais dans une boulangerie – l’espace dramatique rappelle ainsi La Femme du boulanger, réalisé par Pagnol en 1938, et, au-delà de Marius, le monde fictionnel de Pagnol. Mais on retrouve cependant la même retenue des hommes dans les relations et la parole affectives. Les mêmes passions – Marius inhibant son amour pour Fanny, ou l’exprimant par la jalousie. La même histoire, quoique la langue de Pagnol disparaisse[PM12] , et malgré quelques aménagements (autour du personnage de Fanny notamment, moins tragique que dans le texte original). Mais peu importe les manques ou les ajouts dans l’intrigue présentée, car c’est dans le décalage entre le dit de la scène et les souvenirs des originaux que se fait sentir la chair textuelle et filmique des êtres de la fiction de Pagnol.
Un cinéma intérieur
Assez vite on comprend que l’intrigue sera la même et que la mise en scène, réaliste, ne la tordra pas. Ce n’est donc pas la surprise d’un dénouement inattendu que l’on attend, ni les déplacements qu’aurait pu opérer une actualisation audacieuse ou plus novatrice de la pièce, mais les scènes saillantes, les étapes clefs et culte de l’histoire : le départ de Marius pour le grand large, les adieux larvés de Marius à son père (et sa réplique, légendaire : « je t’aime bien »), et surtout le sacrifice de Fanny, choisissant d’aider l’être aimé quitte à le perdre. Ce que l’on attend aussi beaucoup, c’est le rejeu de la célèbre partie de cartes (« Tu me fends le cœur ! »). Ce qui se passe sur la scène pousse à anticiper ce qui se passe dans la suite de l’action. À rire et pleurer d’avance. Les images du film arrivent en creux. Aux corps des acteurs se superposent en effet ceux des acteurs réels du film (la gestuelle de l’acteur-vedette Raimu jouant César). Se superposent aussi les personnages de fiction. L’expérience théâtrale réactive le souvenir, au-delà des personnages, de l’atmosphère marseillaise mythifiée dans le film de Pagnol, du son du port et de la mer, et qui eux aussi, comme les corps des acteurs du film, sont absents de la scène. Ces absents sont comme les morts et les espaces disparus dont on se souvient avec tendresse, même si on les a peu connus, ou parce que d’autres, plus vieux, les ont sans doute connus.
Le geste et la parole dans le monde figuré sur la scène activent la projection d’un film intériorisé, que je pensais pourtant avoir oublié. S’instaurait dans l’expérience théâtrale un autre plan de représentation, non sur la scène du théâtre, mais sur la scène mentale. Durant la représentation, coexistaient deux mondes fictionnels (scénique et mental), deux types d’êtres de fiction (théâtraux et filmiques), deux régimes ontologiques (la présence des corps réels et l’absence des corps qui ont cristallisé, dans le film, les êtres de la fiction). Ces mondes et ces êtres fictionnels ne coexistaient pas, dans mon expérience, sur le mode du simultané. Les souvenirs du film progressivement réactivés, je retrouvais l’ordre de l’histoire, j’anticipais les réactions personnages, les scènes et répliques culte. Le monde fictionnel mental et oublié dans lequel je me retrouvais projetée a fini par se donner comme antérieur (et comme connu) au monde figuré sur la scène. Cette expérience de réminiscence est sans doute vécue à des degrés de profondeur différents selon le degré de familiarité avec le texte et le film de Pagnol. D’ailleurs je sentais et voyais mon compagnon, assis près de moi, lui qui connait tout un pan du texte de Marius par cœur pour s’être amusé petit à le jouer avec sa famille, vibrer plus fort et plus tôt. Le monde de son enfance personnelle s’ajoutait à son cinéma intérieur. Mais peu importe qu’on connaisse ou non les originaux car la mise en scène réaliste de Pommerat conserve la dimension mythique du microcosme que Pagnol avait conçu pour le public parisien, si bien que c’est toujours comme depuis le passé du mythe de la vie ordinaire que se déploie le présent scénique.
Rayonnements
Bien après la représentation, m’est revenue cette scène qui m’avait saisie dans une autre pièce de Joël Pommerat, en 2019, une création totale cette fois : Contes et légendes. Un robot humanoïde, joué par une actrice, chantait « Mourir sur scène » de Dalida. Performé dans cet espace théâtral, le tube, dont les paroles rappellent le souvenir du suicide d’une des icônes de la chanson française, exagéraient les affects de tendresse mêlés de joie et de tristesse qu’il déclenche chez moi habituellement. À la façon d’un agalma (la statue, l’effigie, l’image en grec), comme un artefact captant les regards, l’actrice-robot instaurait dans la représentation le rayonnement diffus d’une présence commune mais mythique, familière mais venue d’ailleurs. La scène performait, via cette image agalmatique du corps scénique, l’attachement, dont il est justement question dans ce conte, d’adolescent.es à des artefacts imitant le vivant.
Ainsi que l’écrivent Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint dans l’introduction à leur dossier sur « l’irruption du tube dans les scènes théâtrales contemporaines », paru dans la revue Thaêtre, le tube génère
un effet de « dilatation de l’instant », comme le formule Cécile Auzolle. L’irruption du tube suspend la représentation et produit un triple effet de ressaisie : du spectacle, comme condensé dans le morceau diffusé ou interprété, du tube lui-même, soudainement rechargé de sens, et du·de la spectateur·rice, en tant qu’individu chargé de souvenirs liés à cette chanson et en tant que membre d’une communauté pour quelques minutes soudée par la musiqueAgnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint, « Avant-propos », thaêtre [en ligne], Chantier #9 : Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines (coord. Agnès Curel, Corinne François-Denève et Floriane Toussaint), mis en ligne le 15 janvier 2025. URL : https://www.thaetre.com/2025/01/15/tubes-en-scene-avant-propos/..
Le Marius de Pommerat a les mêmes pouvoirs que le tube. Comme la chanson de Dalida performée par l’actrice se faisant artefact (rejouant la transformation de la chanteuse en artefact vivant, en corps scénique fait de strass et de paillettes), c’est en fait toute l’histoire de Pagnol qui, reprise dans le Marius de Pommerat, dilate l’instant pour activer, via le monde figuré sur la scène, l’espace à la fois individuel et commun du souvenir de légendes populaires et ordinaires. Aussi le spectacle de Pommerat s’écarte-t-il du régime illusionniste strict en ce qu’il ouvre vers cet ailleurs poétique et kitsch, à la manière d’un conte. Le spectacle ne rompt pas avec le passé des « anciens modernesSelon l’expression de Bruno Latour dans « Sur un livre d’Étienne Souriau : Les différents modes d’existence », in Fleur Courtois-L’Heureux et Aline Wiame (dir.), Étienne Souriau. Une ontologie de l’instauration, Paris, Vrin, 2015, p. 52. » en faisant du contemporain, mais il défait le rapport moderne au temps (la rupture avec le passé) en nous rattachant à un passé mythique, en nous faisant ainsi éprouver notre attachement à des objets culturels modernes intériorisés, et en défaisant les résistances à la sentimentalité que de tels objets suscitent.
Dans l’espace mental de l’après représentation se déploie le rayonnement diffus d’un microcosme fictionnel où scènes théâtrale et cinématographique semblent avoir fusionné. Les corps scéniques sont chargés de la lumière des corps filmiques évoluant sur l’écran. Ils exercent la même emprise, pas celle de l’effet de réel, mais celle du temps du kitsch dont les personnages inventés par Pagnol sont les premiers porteurs. Ces êtres de théâtre, devenant spectraux, se rapprochent du mode d’existence des êtres de fiction qu’ils incarnent. Ce qui apparaît donc aussi dans l’après de la représentation, c’est ce que partagent les premiers avec les seconds : leur caractère fantomatique tout autant que leur « chosalitéIbid., p. 45. », leur « manque d’êtreIbid., p. 47. » comme leur surcroît de vie. Les interférences entre ces modes d’existence rappellent que les êtres de fiction sont des « quasi personnesOswald Ducrot, Jean-Marie Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, article « Personnage », Paris, Seuil, 1995 [1972], p. 753. » et les corps scéniques, des morts en puissance.