est corps qui assoiffé de lumière sort
des profondeurs de l’eau, du placenta noir
et depuis cette profonde obscurité se précipite pour devenir
le lac
accoucher blême toujours froide malgré la douceur des vagues.
une griffe lui a ouvert le dos et neige se rue en bas plus longue écume
irrémédiable car dans ses gènes,
et mathématique
mais pas entièrement depuis qu’elle sait l’épigénétique.
elle exerce une pression, fait monter l’étoile cueillie dans le lac.
qu’elle est plasma pas très différente de quoi au fond de l’eau.
sérum qui coagulera dans un trou.
à l’extrémité naît sa seconde tête
depuis le rêve en cours des alentours de chênes,
leur fleurir discret,
prestance printanière en effusion sourit
en chatons mâles.
d’inégalables rivages
où elle nagera dans le vert de l’eau dès qu’elle pourra
dès qu’elle pourra
le lac prémonitoire
futurs, passés où nous sommes pris qui roulent depuis la nuit des temps,
pas moyen de s’y soustraire
qui s’y refuse termine entortillé.
la voici au dernier stade ou déjà tombée.
peut-être est-elle mâle, piégée.
sans doute ça avait commencé mais ça a mal tourné
la nuque échouée, plus de retour en arrière, marécage
dans le marécage.
sur ses joues le vert à peine fleuri,
à pourpres qui décollent, aube condensée en baisers
où un dos s’élève.
vivre dans un angle de 90 degrés avec les cuisses tombant depuis les hanches
et les mollets repartis dans les hauteurs, les pieds gonflés
sécrétions du cœur au fond de l’eau
déjà elle n’est, mais elle sera, ailleurs autre sera
le lac scrutateur
qui depuis l’eau accourt à corps radio et bassin large
transfusé depuis le rêve.
plus petite jambe à la cuisse qui copie, copie la course,
dérive vers les berges nocturnes
et raréfaction des gouttes mais abondance de chlorophylle
entre ses bras.
son corps à petite tête, incertain si c’est d’homme ou de femme
accourt entouré de lignes mouvantes, auras de gestes
cuivres et roses presqu’accomplis.
sa petite tête tourne à queue de cheval, rayons qui chaque seconde
changent de nature
tout comme ses mains d’ailleurs, qui finissent
sur des doigts fuyants
(sur son pubis poilu une seconde queue tombant).
et ce que ça veut dire est flou,
surtout ses doigts
surtout ses doigts à fils pourpres la terrifient
et cette vapeur de cire ovale
qui monte du sol tournant ses mains poisseuses.
le vent souffle le lac dans ses cheveux.
des bourgeons accostent sur ses bras et à présent elle voit
les squelettes à fin câblage
le lac à vision impeccable
un vent se lève.
depuis le rivage quelqu’un accourt en formes
comme de nulle part à écumes de lumière.
impossible de vérifier si c’est poussière
ou alors vraiment quelqu’un
(ou elle-même)
depuis le schiste des temps à lèvres radieuses et queues de cheval.
à jambes cousues comme disques lâches
et pourquoi les pieds
piquent-ils dans la terre comme des pinces.
ça gesticule comme si ça voyait une vieille connaissance
à visage tourné en masque
qui germe comme un petit pois, comme une aura
chose que le temps au visage fera
pendant que l’aube pousse les baies
et le rivage les berges
le lac tout sauf myope
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Notes
« accoucher blême toujours froide malgré la douceur des vagues » : ce poème et les suivants partent de l’œuvre d’Enrico David (I, 1966) découverte à la Biennale de Venise en 2019. David utilise du bronze et du jesmonite, matériau oublié composé de plâtre et de résine acrylique. Il a produit entre 2013-2015 une série de sculptures sur l’origine et la destination de l’être humain (Gradations of Slow Release (2015), Rosette Mission (2013-16), Untitled (2014)). Dans ces œuvres, l’humain, l’animal et le végétal co-existent dans des états de métamorphose qui ne sont pas encore prêts à venir au monde.
« qu’elle est plasma pas très différente de quoi au fond de l’eau » : « Un être métamorphique est, au contraire, un être qui a déposé toute ambition à vouloir se reconnaître dans un seul visage », Emanuele Coccia, Métamorphoses, Payot et Rivages, 2020, p. 66.
« déjà elle n’est, mais elle sera, ailleurs autre sera » : “So mußt du allen Dingen / Bruder und Schwester sein, / Daß sie dich ganz durchdringen, /Daß du nicht scheidest Mein un Dein. // Kein Stern, kein Laub soll fallen– / Du mußt mit ihm vergehn ! / So wirst du auch mit allen/Allstündlich auferstehn.”, “Spruch ”, Herman Hesse, in Herman Hesse, Bodensee, p. 266. (« Ainsi tu dois être toute chose / frère et sœur, / pour qu’elles t’imprègnent totalement, /et que tu ne sépares le mien du tien. // Nulle étoile, nulle feuille ne doit tomber – / Sans que tu périsses avec elles ! / Ce qui te permettra aussi à chaque instant / de te relever avec elles », Herman Hesse, « Dicton », trad. de l’allemand par EdR).
« qui depuis l’eau accourt à corps radio et bassin large » : ce poème a été inspiré par les sites palafittes autour du Lac de Constance (âge de pierre et de bronze). Plus particulièrement par la reconstruction du site à Uhldingen, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.