Un spectre hante l’anthropologie contemporaine : « le tournant ontologique ». Cette expression désigne l’injonction à prendre en compte la présence des acteurs qui étaient jusque-là écartés des formes du « symbolique », défini comme la capacité de l’espèce humaine à échanger des signes(note:Cf. Frédéric Keck, Ursula Regehr et Saskia Walentowitz, « Anthropologie : le tournant ontologique en action », Tsantsa, 20, 2015, p. 34-41.). Depuis une vingtaine d’années, ce « tournant » a été l’occasion pour les anthropologues de faire de grandes virées dans l’école buissonnière des forêts, où ils ont décrit des esprits, des divinités, des animaux, en leur donnant autant d’« agentivité » que les humains, c’est-à-dire de capacité d’agir dans des situations sociales. Il s’agissait de « repeupler les sciences sociales », en montrant que la notion de « peuple », sur laquelle les sciences sociales se sont construites depuis deux siècles, devait inclure les « non-humains »(note:Cf. Sophie Houdart et Olivier Thiery (dir.), Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, Paris, La découverte, 2011, p. 65-74.), et en redéfinissant l’être du signe comme une entité variable que les humains partagent avec les non-humains(note:Cf. Patrice Maniglier, La vie énigmatique des signes : Saussure et la naissance du structuralisme, Paris, L. Scheer, 2006.).
Un tel tournant a souvent été perçu comme un retour en arrière(note:Cf. Jean-Pierre Digard, « Le tournant obscurantiste en anthropologie », L’Homme, 203-204,…