J’ai perdu mon travail.
J’ai bien cherché, je ne le retrouve pas.
Comme si le seul véritable travail
avait été d’enfouir
et perdre trace.
Employé pour disparaître.
Embauché pour faire un trou
et s’y trouver précipité.
Le travail m’est tombé des mains, où avais-je la tête ?
Faut croire que ça récalcitrait à deux ou trois endroits du
corps. Mais si j’ai regimbé c’était à mon insu. Dans
l’ensemble j’étais docile, dans le détail c’est plus mitigé.
J’ai l’estomac factieux, le poumon séditieux, la rate
agitée.
Il suffit de quelques organes rétifs
pour créer une zone dissidente.
Faire efface.
Fabriquer dissipe.
Obéir dissout.
Se soumettre distrait de soi.
S’appartenir ?
Pourquoi ?
Je m’étais assis sur mes exigences. J’avais sapé mon
désir, rhabillé mes attentes, coiffé mon enthousiasme.
Aucun rêve n’avait jamais franchi la porte de ma
chambre, aucune colère n’avait traversé les parois de
mon ventre.
Je laissais le monde régner en moi
et j’allais voir ailleurs
si je pouvais être libre hors de moi.
Mais j’étais hors de moi à défaut d’être libre.
Parler m’est arrivé sans préméditation.
La faute à voir
ce qui avait lieu
et ce qui n’en avait pas.
Et puis de toute façon
les sentiments vont s’épaissir.
Or tout ce que j’ai fait, je l’ai fait avec amour.
Ça en dit long sur l’amour.
J’ai fait mes devoirs, j’ai fait l’Italie et les courses, j’ai fait
des histoires et des vagues, j’ai fait la vaisselle et la
gueule, le mariolle et le pied de grue, j’ai même fait le
mort en attendant de trouver mieux - n’y a-t-il donc rien
d’autre à vivre que faire ?
Que faire ?
Et comment le faire ?
Et qu’est-ce que je peux en dire
alors que bien souvent j’ai été tenu d’opposer
faire
et penser ?
Vivre et parler ?
Aussi j’ai fait mes heures.
Je les ai faites, chaque semaine.
Comme la poule son œuf.
Mais j’ai souvent manqué d’être.
Et j’aurai fait mon temps sans jamais en avoir.
Bonjour, je suis ministre et je cherche une contrepartie
morale à l’absence d’emploi.
Oui.
Une contrepartie morale à l’absence d’emploi.
Je vais tous vous entravailler.
Je suis ministre et mes propos me couvrent
et vous atteignent.
Tout le plaisir est pour moi.
Tout le plaisir
est pour moi.
Aimer un mot : entrer dedans.
Je cherche une trouvaille. J’ai pustulé partout. Je
contracte tout ce qui traîne. J’aimerais bien qu’on
m’embûche. On m’a recommandé parce qu’on aimait
bien me commander.
Je sollicite votre attention.
J’aspire.
Je suscite votre intérêt.
J’expire.
Témoignage : j’ai un patron imaginaire depuis que j’ai
sept ans. Je m’en remets à ses directives. Un jour j’espère
prendre sa place dans la tête d’un oisif.
Saviez-vous que tous les oisifs
n’aiment pas nécessairement les oiseaux ?
Témoignage : le travail de mon père a disparu avant lui.
Quand j’étais petit, je ne pensais pas à les séparer l’un de
l’autre. La crise économique m’a aidé à mieux le
connaître.
Au fait, la crise
est-elle seulement économique ?
Est-ce que l’économie a été dotée d’un esprit critique ?
Est-ce qu’elle mange à sa faim ?
Est-ce qu’elle dort sur ses deux oreilles ?
Je n’ai jamais réussi à dormir sur mes deux oreilles.
Je dors plutôt sur mon visage. Et mes tourments.
J’appuie.
J’aspire.
Je ne suis pas qualifié pour les nuits à venir.
Témoignage : je ne faisais rien mais je le faisais mal.
Alors j’ai cherché du travail.
Si j’avais soulevé le mot travail, j’aurais trouvé mon
père.
Mon père vivait sous le travail. Quand il rentrait à la
maison, on ne le voyait pas. On ne voyait que le travail.
La souffrance du.
La fatigue du.
L’aliénation du.
Les repas avec mon père ressemblaient à un travail.
Les promenades.
Les dimanches.
La vie.
Mon père travaillait tout ce qu’il touchait.
Il travaillait la pelouse.
Il travaillait la télévision.
Il travaillait même la digestion.
Si on voulait l’embrasser, on embrassait le mot travail.
Et si on voulait vivre, on devait vivre comme lui : en
travaillant.
Et puis un jour mon père a perdu son travail. C’était
déjà arrivé souvent, sauf que cette fois il n’en a pas
etrouvé un immédiatement.
Alors il a chômé.
Il faisait le chômage sur le canapé, au milieu de la
maison.
Il chômait en fumant, en mangeant des Michoko, en
buvant une bière, deux bières, en finissant le paquet
de Michoko.
Puis mon père a fait le chômage de la bière. Il a
démissionné des cigarettes. Il a continué les Michoko.
Il est devenu gros.
Sur le canapé, sans son travail, on le voyait bien
désormais.
Il était tout le temps là, inquiet, frustré.
Là dans l’angoisse.
Je l’adorais.
Je tapais sur son ventre et je l’appelais M. Panda.
M. Mouton sans son travail : M. Panda.
Le chômage
ensauvage.