Google,
merci de m’aider à me souvenir de mon enfance.
avr. 2008

Quelles formes prend aujourd’hui « toute la mémoire du monde », pour reprendre le titre du film d’Alain Resnais sur la BNF ? À suivre ce passionnant desktop-documentary d’Oriane Pichuèque sur Google Street View, on comprend qu’elle ressemble aujourd’hui à un projet cartographique intégral qui laisserait Borgès songeur et Marx en rage. Mi-enquête mi-rêverie, le film va des rues d’Étampes aux data centers de l’Oregon, interrogeant l’expropriation de la mémoire dont le géant américain se rend coupable.

Google, merci de m’aider à me souvenir de mon enfance. avr. 2008 consiste en un desktop documentary évoquant les souvenirs d’enfance de l’artiste via la fenêtre de Google Street View, outil devenu autant une archive mécanique qu’une cartographie de nos existences. Sillonnant numériquement sa rue d’enfance capturée par la Google Car en 2008, elle y découvre les fragments de souvenirs abandonnés, à mi-chemin entre exploration nostalgique et enquête critique, révélant la fragilité d’une mémoire numérique soumise aux aléas algorithmiques. Mais où ces souvenirs sont-ils stockés ? Dans ce documentaire critique se révèlent les contours d’une mémoire « dématérialisée », vouée à s’échapper depuis les vapeurs de lointains data centers.

Le film interroge l’outil Google Street View et son rôle dans la construction de la mémoire personnelle et collective. À travers une enquête menée exclusivement depuis l’écran d’ordinateur, le film navigue de la rue d’enfance de l’artiste, aux origines militaires des premières cartes interactives, jusqu’au plus grand data center de Google à The Dalles, dans l’Oregon, où sont stockées les données de Street View. Ce site, ancien village amérindien, porte les traces des transformations historiques et technologiques : son fleuve, la Columbia, a vu ses chutes d’eau disparaître en 1957, chutes dont le débit d’eau maximal était dix fois supérieur à celui des chutes du Niagara, au profit de l’hydroélectricité, ressource bon marché pour laquelle Google s’est installé à The Dalles. Google a reçu au début de l’année 2024 l’autorisation pour y lancer son cinquième data center, un projet à 600 millions de dollars, suite à la demande croissante en capacité de stockage et en réponse à la puissance de calcul que requiert l’intelligence artificielle. Mais pour refroidir ses serveurs, Google a besoin d’une quantité d’eau titanesque. Sa demande a triplé ces cinq dernières années. Pourtant, à The Dalles, l’eau manque. Le climat est presque désertique et les restrictions d’eau planent au-dessus des habitants et des agriculteurs, alors même que ni l’entreprise ni la ville ne divulguent la consommation de cette boîte noire éléphantique. Le film tisse ainsi un récit où mémoire intime, questionnements technologiques et mutations territoriales s’entrelacent, interrogeant la manière dont les infrastructures numériques reconfigurent tant notre rapport au passé qu’au paysage.

Comment citer ce texte

Oriane Pichuèque , « Google, merci de m’aider à me souvenir de mon enfance. avr. 2008 », Les Temps qui restent, Numéro 5, Printemps (avril-juin) 2025. Disponible sur https://lestempsquirestent.org/fr/numeros/numero-5/google-merci-de-m-aider-a-me-souvenir-de-mon-enfance-avr-2008