Le lithium, un (dé)stabilisateur des transitions bipolaires

Le lithium, en psychiatrie, est réputé être un stabilisateur des états mentaux maniaco-dépressifs ou bipolaires. En revanche, en tant que ressource rare supposant une économie extractiviste, il est un redoutable déstabilisateur, en particulier dans les rapports du Nord et du Sud. On pourrait presque parler de deux pôles dans la psychè de Gaïa : de la maniaquerie technosolutionniste portée par le Nord global, et de la dépression du Sud global (en particulier de l’Amérique Latine) soumise à l’emprise d’une prédation néo-coloniale… Notre « transition » vers la décarbonation serait-elle bipolaire ?

Dire que nous avons été expulsés du présent peut sembler paradoxal. Non : c’est une expérience que nous avons tous éprouvée un jour. Certains d’entre nous l’ont d’abord vécue comme une condamnation, puis l’ont transformée en conscience et en action. La recherche du présent n’est pas la recherche de l’Éden terrestre ni d’une éternité sine die : c’est la recherche de la réalité réelle. Pour nous, hispanoaméricains, ce présent réel n’était pas dans nos pays : c’était le temps que vivaient les autres, les Anglais, les Français, les Allemands. Le temps de New York, de Paris, de Londres.

OCTAVIO PAZ, « La recherche du présent », conférence de réception du Prix Nobel (1990).

 

Trois décennies après qu’Octavio Paz a laissé à nu la grammaire coloniale qui disloque le présent de nos territoires latino-américains, cette logique dominante continue de s’exprimer dans les discours et les pratiques associées au changement climatique et à l’urgente nécessité d’instaurer des stratégies visant à réduire la température de la planète.

De fait, réduire les émissions de CO2 à travers le remplacement technologique du transport nécessitant l’énergie fossile par un transport fonctionnant à l’énergie électrique et alimenté par des piles d’ions de lithium, c’est un bon exemple de la manière dont les logiques coloniales continuent d’alimenter le rêve d’un éden terrestre et du présent bucolique de villes vertes dynamisées par les énergies renouvelables. Buenos Aires, La Paz ou Santiago, capitales des principaux pays qui extraient et exportent aujourd’hui le matériau essentiel à la création de ces futurs verts soutenus par des technologies dépendantes du lithium, continuent de regretter l’époque de New York, Oslo ou Shenzhen. La demande croissante de lithium, indispensable au développement des batteries qui rendront possible la mobilité électrique aux États-Unis, en Europe et en Chine, est accompagnée de discours et d’humeurs optimistes qui, pérennisant le délire du capital, expriment des engagements messianiques et des promesses linéaires et univoques, rêves d’éden terrestre et de neutralité climatique.

Taxi alimenté par batterie au lithium produit par BYD, Shenzhen. La couleur de sa plaque d’immatriculation révèle son statut « vert ». Photographie de Pablo Ampuero.

L’Europe promet d’être « le premier bloc climatiquement neutre du monde pour l’année 2050 », garantissant qu’elle ne « cèdera cette place à personne d’autre »« Financer la transition verte : le plan d’investissement du pacte vert pour l’Europe et la facilité pour une transition juste », Commission européenne, communiqué de presse, 14 janvier 2020, Bruxelles, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ ip2017.

Au Chili, SQM – une entreprise privée à capitaux majoritairement chiliens – s’ajoute à ce grand projet en proposant rien de moins que des « solutions pour le progrès humain », s’engageant à « réduire l’extraction de saumure de 50% d’ici l’an 2030 et à ainsi réduire la consommation d’eau continentale de 65% d’ici l’an 2040 » ; à devenir une entreprise « neutre en carbone dans toutes ses productions d’ici l’an 2040 et , en ce qui concerne celle du lithium, du chlorure de potassium et de l’iode, d’ici l’an 2030 »« SQM parmi les cinq entreprises chiliennes les plus durables selon la pondération ESG », Timeline Antofagasta, 25 janvier 2021..

Alors que nous assistons à une croissance économique ininterrompue dans l’ensemble du Nord, en lien avec le marché toujours plus rentable des énergies renouvelables, de l’électromobilité et donc des batteries électriques, cette même croissance contraste fortement avec les actuelles « réalités réelles » d’Octavio Paz, le lithium se trouvant exploité au moyen de pratiques extractivistes qui impliquent la destruction et la dépossession d’écosystèmes et de formes de viePour des discussions sur les extractivismes en Amérique latine, voir Acosta (2011), Gudynás (2016) et Svampa (2019).. Dans ce contexte, la préoccupation décoloniale d’Octavio Paz a aujourd’hui un nouveau visage, puisque la question de savoir pour qui et quand sera bénéfique et soutenable une telle transition énergétique demeure encore un objet de controverses. Nous proposons ici quelques idées préliminaires pour penser cet impératif éthique.

Depuis l’Amérique latine, il n’est pas difficile de constater combien la généalogie de la transition énergétique est semblable à celle de la transition capitaliste. Il n’est pas difficile de constater comment les projets globalisants surgissent et bouleversent les espaces locaux. Encore moins de se rendre compte de la façon dont ces transitions invisibilisent l’interdépendance de processus situés qui visent la décarbonation à échelle planétaire. À force de séparer le monde en continents distincts et différents, et en imposant un temps linéaire, univoque et universel, ces transitions, pensées depuis le Nord Global, opèrent sans tenir compte de la pertinence écologique et de la durabilité de processus écologiques interdépendants. En ce sens, et considérant qu’en Amérique Latine la soif de lithium est une soif d’eau, nous rendons compte dans ce travail du caractère processuel des humeurs en jeu dans ces transitions. Nous souhaitons montrer comment ces transitions basées sur le lithium stabilisent et déstabilisent les humeurs maniaques et dépressives, humaines et non-humaines. Considérant la stabilisation produite par le lithium dans les troubles psychiatriques bipolaires tout comme dans dans les projets globalisants de décarbonation de l’économie à travers des solutions technologiques écomodernistes et capitalistes, nous proposons de penser les transitions énergétiques comme des transitions bipolaires, à savoir des transitions caractérisées par l’action d’humeurs dépressives et maniaques questionnant radicalement la linéarité du temps qu’impose la transition énergétique hégémonique. Avec ce terme de transitions bipolaires, nous souhaitons indiquer de quelle manière la même humeur maniaque que propose une décarbonation frénétique – ne bénéficiant qu’à très peu de personnes – réarticule des territoires d’impuissance caractérisés par des tensions continuelles entre ces humeurs maniaques et la génération d’humeurs dépressives. Ainsi, notre diagnostic « humoral » considère le Nord et le Sud comme des catégories qui parfois seulement coïncident avec des zones géographiques et qui, bien souvent, s’articulent non pas comme des points cardinaux absolus, mais comme des zones humorales liées à la distribution inégale de liquides fondamentaux/essentiels à la vie, dans des mondes caractérisés par une énorme instabilité, et dans certains cas, comme celui du Chili, par une inquiétante et sévère sécheresse.

Extraction d’eau souterraine dans le Salar de Atacama pour la lubrification des machines dans les bassins d’évaporation. Photographie de Cristóbal Bonelli.

La nécessité de prendre en compte l’importance de l’eau dans ces transitions capitalistes qui conjoignent soif maniaque de lithium et exploitation minière de l’eau nous pousse à élaborer une théorie processuelle des humeurs en jeu dans ces processus. Cela nous oblige également à concevoir un appareil conceptuel qui rende compte de la manière dont ces transitions stabilisent et déstabilisent les humeurs humaines et non-humaines. Dans l’imaginaire occidental, la théorie des humeurs est ancienne. Elle remonte à la Grèce et à sa cosmologie du corps humain en tant que contenant de fluides fondamentaux (sang, bile jaune, bile noire et flegme) liés aux quatre éléments premiers (air, feu, terre, eau). La stabilisation de ces humeurs était synonyme de bonne santé, de bonne humeur et, par conséquent, de « bonne vie ». Dans notre scénario de changement climatique et de crises écologiques, ces quatre éléments fondamentaux et leurs fluides concomitants semblent fortement déstabilisés, et cette bonne vie tant désirée prend figure de vie dramatique et angoissante.

Non contents de considérer la mythique théorie humorale grecque, nous voulons également comprendre ces troubles de la planète sous l’angle de la santé mentale et de la psychiatrie contemporaine, notamment à travers la définition de la bipolarité qui apparaît dans le dernier manuel de diagnostic psychiatrique DSM-5 (American Psychiatric Association 2013). Celle-ci établit comme premiers critères de la manie « une humeur constamment élevée, expansive ou irritable » et « une augmentation anormale et persistante des activités orientées vers la tâche, ou une énergie accrue », corroborant ainsi les premières conceptualisations de la condition telles qu’énoncées par Kraepelin (1921) il y a un siècle, lorsqu’il soulignait « l’activité accrue » comme élément central de la manie. Cette humeur maniaque peut être considérée comme capitaliste ; elle ne se repose pas une seconde et elle s’exprime par l’extraction continue de l’eau dans de nombreuses régions d’Amérique latine, extraction également sans reposPour les besoins de ce travail, nous avons décidé de nous concentrer sur l’extraction de l’eau. Cependant, dans la logique marxiste du « capital constant », cet état d’esprit maniaque est évidemment présent de manière transversale dans tous les types de pratiques extractives, dans l’organisation du travail et la création de plus-value à travers l’exploitation de la force de travail et l’organisation des équipes de travail. Voir Marx (1975).. C’est cette humeur maniaque, et les déstabilisations humorales qu’elle produit dans les matérialités non-humaines, qui nous permet de penser la transition énergétique comme une transition bipolaire.  Le maniaque y apparaît comme une polarité nord en tension apparente avec une polarité sud ; des pôles qui ne coïncident pas nécessairement avec un territoire géographique, comme l’a établi Octavio Paz.

Nous proposons une théorie humorale des transitions à travers le concept de « transition bipolaire », concept utile car il rend compte de la distribution inégale, déséquilibrée et polarisée des humeurs et fluides humains et non-humains présents dans le modus operandi du capital. Nous pensons à ces transitions bipolaires en reliant partiellement les langues de la santé mentale – humeur maniaque et humeur dépressive – aux langues grecques plus mythiques liées aux humeurs les plus fondamentales du corps humain et de la planète. Vues depuis le territoire extractiviste latino-américain, les transitions bipolaires présentent une articulation et un déséquilibre particuliers entre l’humeur maniaque capitaliste et l’utilisation de l’eau ; en particulier lorsqu’il s’agit du lithium et de son exploitation de l’eau douce (utilisée pour le processus de production) et de la saumure (utilisée pour la production de différents composés de lithium en fonction du pays où il est extrait).

Penser les transitions bipolaires nous permet également de relier deux discours qui tendent à rester dissociés dans l’espace public : le discours des transitions énergétiques – encadré dans les transitions capitalistes – et le discours diagnostique en santé mentale et sa détection des troubles bipolaires ou des troubles de l’humeur. La catégorie « bipolaire » permet de déplacer la catégorie « énergétique » depuis le présent du Sud et de décoloniser un point de vue obsédé par l’énergie, par la croissance économique illimitée associée aux modèles de développement imposés par le Nord. Le Nord et le Sud, du point de vue critique des transitions bipolaires, ont à voir avec des mondes associés aux humeurs propres au discours bipolaire : nous proposons de considérer le Nord comme animé d’une humeur maniaque et le Sud comme sujet à une humeur dépressive. Cet accent mis sur les humeurs polarisées nous permet de penser la décarbonation des transports comme une réponse maniaco-capitaliste, dans le cadre d’un tableau plus ample de la distribution des inégalités. Cette humeur maniaque s’exprime par une décarbonation maniaque dans laquelle il n’y a pas de transitions énergétiques, mais souvent des ajouts d’énergie (voir Fornillo 2018 ; York et Bell 2019). La transition bipolaire permet de rendre compte de ce processus en diagnostiquant l’état maniaque du capitalisme (Martin 2007), qui affronte le changement climatique avec plus de production et d’affaires : plus de batteries, plus de voitures, plus de travail, plus d’énergie, plus de croissance économique – des éléments et des promesses qui ne peuvent exister sans des individus compétitifs.

Point d’eau sec dans le secteur de Quelana, Salar de Atacama, à proximité du puits d’extraction d’eau utilisé par une entreprise d’extraction de lithium. Forum de Cristóbal Bonelli.

La position du Chili en tant que l’un des principaux fournisseurs de lithium au monde s’inscrit dans l’histoire plus large de la mise en œuvre d’une matrice de développement néolibérale en Amérique latine, inaugurée par le coup d’État chilien de 1973. La relation étroite qui a existé entre l’installation et le développement des entreprises d’extraction de lithium et le pouvoir politique et économique est manifeste. Actuellement, et au milieu d’un processus constituant coïncidant avec des élections présidentielles, les plus importantes peut-être depuis la transition démocratique au Chili (car elles présentent pour la première fois la possibilité de modifier radicalement et structurellement non seulement le scénario politique, mais aussi le modèle économique qui l’accompagne), la présence sans frein du capital financier international au sein du cadre national est également manifeste. Récemment, Frank Ha, PDG de Tianqi Lithium, une société chinoise qui détient près d’un quart des actions de SQM, a déclaré que, bien qu’ils soient « respectueux des processus internes des pays dans lesquels nous investissons […] ce qui nous a préoccupés ces derniers mois est lié à certaines opinions sur l’industrie du lithium au Chili, le rôle du secteur privé en général et de SQM en particulier » (Cofré 2021). En ce sens, il est inévitable de considérer, dans toute analyse liée au lithium, que le capital financier mondialisé avance sur la politique nationale et sur la souveraineté d’un pays qui tente précisément de se redresser au milieu des processus démocratiques critiques actuels. Il convient de mentionner qu’au cours des années 1980, la République populaire de Chine (RPC) a réactivé ses relations économiques avec le Chili dans le cadre de sa nouvelle politique de réforme et d’ouverture. Les dirigeants chinois étaient particulièrement intéressés par le projet économique chilien, qu’ils considéraient comme une libéralisation réussie de l’économie sans démocratisation politiquePour le développement de ce point, voir Ampuero (2016)..

La stratégie chinoise d’industrialisation et de modernisation accélérées a permis d’obtenir des transferts de capitaux mondiaux vers la Chine grâce à la « réforme » et à l’ « ouverture » du pays. La réforme et l’ouverture sont des concepts qui englobent une série de politiques mises en œuvre depuis 1978 et visant à introduire une économie de marché. Ce processus a entraîné un changement radical des structures économiques du pays. Il a causé un changement radical des structures sociales et productives du socialisme sous la direction de Mao Zedong. La réforme et l’ouverture n’ont pas seulement façonné une phase d’accumulation originale du capital, en combinaison avec une autorité étatique forte, elles ont aussi redéfini les relations de production et la source de légitimation politique du parti communiste. En soixante ans à peine, la RPC est devenue la deuxième économie la plus puissante du monde, un centre international de production et d’innovation, et a considérablement amélioré la qualité de vie d’une grande partie de sa population. En revanche, ces succès ont entraîné une migration massive des travailleurs ruraux vers la ville, où ils forment le groupe social le plus précaire, par l’aggravation des inégalités sociales et régionales, et par la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles au nom de la croissance économique. Progressivement, le gouvernement de la RPC a tenté de remédier à cette situation, mais sans procéder à une refonte radicale de l’économie et du modèle de développement. En outre, sous l’égide de l’initiative « la Ceinture et la Route », la RPC a réussi à éviter une crise de suraccumulation grâce à l’expansion géographique et à la réorganisation de l’espace (Harvey 2005). La Chine n’a cessé d’augmenter sa demande de ressources naturelles et son offre de construction d’infrastructures, qui a motivé la re-primarisation des économies latino-américainesLa littérature économique sur la reprimarisation est abondante. Une approche empirique et comparative peut être trouvée dans Santana Suárez (2018). Un débat sur le rôle du secteur minier peut être lu dans Poupeau et Maëlle (2021). Sur l’impact de la Chine sur l’industrie du lithium, voir Ray et Albright (2021) ; « Cauchari-Olaroz », Lithium Amériques, https://www.lithiumamericas.com/cauchari- olaroz/. Sur l’émergence à long terme de la Chine et les implications de la politique économique de la RPC au XXIe siècle, il convient de se référer à Arrighi (2007).. Une contradiction apparaît entre la quête de la construction d’une civilisation écologique en RPC et l’absence de remise en question radicale des modèles capitalistes de production et de consommation, avec l’exaltation du lithium, parmi d’autres minéraux, comme stabilisateur écologique et économique. Ainsi, dans des pays comme le Chili, un paradigme de développement insaisissable se perpétue au prix de la marchandisation de la nature.

Il faut également rappeler que l’exacerbation du travail productif dans l’extractivisme minier néolibéral au Chili a nécessité de séparer l’eau de la terre afin de transformer en marchandise. En la privatisant, par le biais du Code de l’eau de 1981 – qui définit cette ressource comme relevant du droit de la propriété privée, avec une réglementation minimale de l’État – le pays est devenu un leader international en fait d’une politique de l’eau favorisant les marchés, ce qui renforce encore l’extraction du lithium par le biais de la spéculation financière sur les principales places boursièresSur le processus de privatisation de l’eau au Chili, voir Bauer (2015), Prieto (2016) et Yáñez et Molina (2015)..

Ce que nous appelons transition bipolaire n’a donc pas seulement à voir avec les humeurs maniaques et dépressives, mais aussi avec les temps et les espaces dictés par la transition capitaliste actuelle. Cette forme d’expansion du capital requiert une nouvelle configuration de l’espace-temps, tout comme le passage du fordisme à l’accumulation flexible au sein d’une économie financière a nécessité l’accélération du temps et l’effondrement de certaines frontières géographiques (Harvey 2006).  De plus, de manière linéaire, les promesses d’étapes majeures et d’objectifs de décarbonation à atteindre d’ici 2030, 2040 ou 2050 supposent un espace-temps et des modes de vie univoques. Ainsi, non seulement elles brouillent – en les dissimulant – les transformations qui ont lieu dans de multiples présents, mais elles omettent et suppriment également la nécessité de décoloniser ou de provincialiser les temporalités et les spatialités des transitions énergétiques (Weinberg, González et Bonelli 2020).

La proposition de transitions bipolaires déplace le temps linéaire imposé par la transition capitaliste et propose de penser l’oscillation entre humeurs maniaques et dépressives, humaines et non-humaines, dans un présent multiple, caractérisé par des luttes et des conditions de vie inégales et une énorme instabilité. C’est dans ce contexte que le lithium est un élément utilisé par les organismes maniaques – ceux qui accumulent de l’énergie (DSM-5) – obsédés par l’obtention de lithium et de piles. De même, la transition énergético-capitaliste évapore l’eau-humeur (le flegme de la terre dans la tradition grecque) et détruit les écosystèmes, afin de stocker de l’énergie détachée des milieux de l’environnement. Les batteries au lithium permettent à l’individu moderne d’augmenter son énergie et sa capacité à produire, exprimant ainsi ce que nous appellerons provisoirement « le stockage par l’extractivisme »Le groupe d’études sur la géopolitique et les biens communs a proposé de considérer les transitions comme opérant à travers une « accumulation par défossilisation ». Notre proposition conceptuelle de stockage extractif fait écho à ce concept.. Alors que le modus operandi du capitalisme en mode générique a été défini par Harvey (2003) comme un processus prédateur d’accumulation de capital par dépossession, la batterie nous offre une instanciation matérielle du capitalisme : un dispositif qui stocke de l’énergie pour certains afin de continuer à accumuler du capital au nom du bien commun, et où les dépossédés restent invisibles et surexploités dans le vide d’une époque dépressive.


N.B. : Cet article correspond à une version révisée du texte « Lithium : Towards a Theory of Bipolar Transitions » déjà publié dans : Lithium : States of Exhaustion, édité par Francisco Díaz, Anastasia Kubrak et Marina Otero Verzier (Rotterdam : het Nieuwe Instituut ; Santiago : Ediciones ARQ, 2021). Cet article a bénéficié d’un financement du Conseil européen de la recherche (CER) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention N 853133). Les idées qu’il présente sont en cours de développement dans l’équipe Worlds of Lithium et dans cet espace LASA ; nous les présentons comme work in progress, avec l’intention d’ouvrir et de générer une discussion critique sur le lithium, sa géopolitique et sa matérialité dans différents domaines.)


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Contributeur·ices

Traduction de Dimitra Panopoulos

Comment citer ce texte

Cristóbal Bonelli Marina Weinberg Pablo Ampuero-Ruiz , « Le lithium, un (dé)stabilisateur des transitions bipolaires », Les Temps qui restent, Numéro 4, Hiver (janvier-mars) 2025. Disponible sur http://lestempsquirestent.org/fr/numeros/numero-4/le-lithium-un-de-stabilisateur-des-transitions-bipolaires